En mars 2001, les Taliban détruisaient les deux Bouddhas géants de la vallée de Bamiyan, en Afghanistan. Vingt ans après, leur retour au pouvoir suscite des craintes pour la sauvegarde du patrimoine.
Le tapis rouge ne sera pas déroulé comme prévu. Le centre culturel de Bamiyan en Afghanistan, qui devait être achevé fin août puis inauguré en grande pompe début octobre, est dans l’attente d’une décision des Taliban. Depuis leur retour au pouvoir le 15 août, tout a été mis en suspens. “Ça ne sera pas possible de l’inaugurer à la date prévue”, a confirmé à l’AFP Philippe Delanghe, chargé de programme culture du bureau de l’Unesco à Kaboul, replié temporairement à Almaty (Kazakhstan). Même si les travaux se poursuivent sur place, “tout est suspendu” en attendant les décisions du nouveau gouvernement, ajoute-t-il.
Inquiétudes autour du patrimoine
Le choix du lieu et la date de l’inauguration avaient tout d’un symbole : ériger un centre culturel dans la province même où, en mars 2001, deux Bouddhas géants sculptés au cœur d’une falaise avaient été dynamités sur ordre des Taliban.
La destruction de ces statues avait propulsé l’idéologie radicale des Taliban sur le devant de la scène planétaire, quelques mois avant les attentats du 11-Septembre, et reste considérée comme l’un des pires crimes archéologiques de l’histoire.
Vingt ans après, le retour du mouvement islamiste réveille les craintes des défenseurs du patrimoine, contraints de naviguer à vue.
En février, le mouvement a affirmé sa volonté de “protéger, surveiller et préserver” le patrimoine historique afghan qui, outre la vallée de Bamiyan (centre), comprend le minaret et les vestiges archéologiques de Djam, plus à l’ouest, ou encore le sanctuaire bouddhiste de Mes Aynak, près de Kaboul.
Mais depuis leur prise de pouvoir, les Taliban n’ont pas donné plus de précisions permettant d’apaiser définitivement les inquiétudes du monde du patrimoine. Et mi-août, des habitants les ont accusés d’être derrière la destruction partielle à Bamiyan de la statue d’un ex-dirigeant de l’ethnie hazara, qu’ils ont persécutée dans les années 1990, sans que leur participation soit toutefois confirmée.
Dans l’expectative
“On est tous un peu dans l’expectative”, souligne Philippe Marquis, directeur de la délégation archéologique française en Afghanistan (Dafa).
Les déclarations de février “sont des déclarations d’intention qui valent ce qu’elles valent mais c’est plutôt un bon signe. On n’a pas de déclarations disant : ‘On va tout détruire ou tout effacer du passé non islamique de ce pays’”, ajoute-t-il.
Même prudence à l’Unesco. “On juge sur l’histoire et, il y a vingt ans, il y a eu des résultats terribles”, note Ernesto Ottone, sous-directeur général pour la culture.
Les choses ont changé par rapport à 2001, veut-il croire, rappelant notamment que l’Afghanistan a signé plusieurs conventions et que, depuis 2016, la destruction du patrimoine est considérée comme un crime de guerre.
Un temps redouté, un scénario à l’irakienne – lorsque des dizaines de milliers de pièces avaient été volées à Bagdad après la chute de Saddam Hussein en 2003 – ne semble quant à lui pas s’être produit à Kaboul. Pour l’heure du moins.
Depuis la chute du premier régime taliban en 2001, un travail d’inventaire a été engagé, précise Ernesto Ottone, mais “c’est un processus très long”. À ce stade, seul un tiers des milliers d’objets d’art du musée national, à Kaboul, ont été répertoriés.
Sur le terrain, signe de l’effroi que provoquent toujours les Taliban, les Afghans travaillant dans le domaine du patrimoine préfèrent ne pas parler par crainte de représailles. Certains ont quitté le pays, quand d’autres vivent terrés chez eux.
Le 20 août, le directeur du musée national – qui avait été pillé et délibérément saccagé pendant la guerre civile (1992-1996) et sous le régime taliban (1996-2001) –, avait indiqué au New York Times avoir reçu la promesse du nouveau régime qu’il protégerait l’établissement. “Mais nous sommes encore très préoccupés par la sécurité de notre équipe et de la collection”, ajoutait Mohammad Fahim Rahimi.
“Fiers de détruire des monuments non musulmans”
Désormais réfugié en Allemagne avec sa famille, Mustafa, ancien employé de l’Unesco à Bamiyan, ne se fait lui aucune illusion sur les intentions des nouveaux maîtres du pays. “Les Taliban ne croient pas aux conventions internationales (sur le patrimoine), notamment parce qu’elles ont été signées par le gouvernement précédent”, note-t-il. Et “comme ils sont illettrés et extrémistes, ils sont fiers de détruire des monuments non musulmans”.
Terré dans la capitale après avoir été interrogé à deux reprises par les Taliban, Abdul, employé provincial de Bamiyan, raconte de son côté les “instruments de musique brisés” et les “objets d’art volés ou réduits en miettes” début août.
“J’étais triste mais je n’ai pas pu protester”, confie-t-il. “Je n’avais aucune garantie qu’ils n’allaient pas m’accuser (…) d’idolâtrie et retourner leur arme contre moi et me tuer.”
Fragilisé par cette fuite des cerveaux, le secteur du patrimoine afghan doit également composer avec une inconnue de taille, celle de la date de reprise de l’aide internationale, pour l’heure largement suspendue.
“On retient notre souffle”, résume Philippe Marquis. “Mais j’espère que bientôt on aura la possibilité de respirer de façon un peu plus légère.”
Avec AFP