Pékin va tester, en septembre, le premier réacteur nucléaire à sels fondus et au thorium. Une nouvelle technologie présentée comme plus “propre” et plus “sûre”, qui intéresse aussi la Chine pour des raisons géostratégiques.
Une nouvelle page de l’histoire de l’énergie nucléaire va peut-être s’écrire en septembre, en plein désert de Gobi. La Chine a annoncé, fin août, y avoir achevé la construction de son premier réacteur nucléaire à sels fondus à combustible thorium. Elle compte commencer les premiers essais de cette technologie alternative aux réacteurs nucléaires actuels dans les quinze prochains jours.
Le prototype, érigé non loin de la ville de Wuwei, est d’une puissance modeste puisqu’il est censé pouvoir produire de l’énergie pour moins de 1 000 habitations, précise la revue scientifique Nature. Mais si les tests à venir satisfont les autorités chinoises, celles-ci démarreront un programme pour bâtir un réacteur capable de générer de l’électricité pour plus de 100 000 foyers. Ce qui permettrait à Pékin de devenir exportateur d’une technologie de réacteurs qui fait couler beaucoup d’encre depuis plus de 40 ans, rappelle Les Échos.
Des risques d’accident plus faibles
La Chine reprend en effet le flambeau aux États-Unis, qui avaient construit, puis abandonné, un réacteur nucléaire similaire à la fin des années 1960. La différence principale avec les réacteurs actuels, c’est que “presque tous utilisent de l’uranium comme combustible et de l’eau, au lieu du sel fondu et du thorium”, rappelle Jean-Claude Garnier, chef de programme à la direction des énergies du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), contacté par France 24.
Deux “nouveaux” ingrédients qui n’ont pas été choisis par hasard par Pékin. Les réacteurs à sels fondus font partie des technologies les plus prometteuses identifiées par le forum Génération IV – une initiative américaine pour favoriser la coopération internationale dans le domaine du nucléaire civil – pour les centrales du futur.
Le principe est que “c’est le sel lui-même qui devient le combustible”, souligne Sylvain David, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des réacteurs nucléaires, contacté par France 24. Les cristaux sont mélangés à de la matière nucléaire – uranium ou thorium – puis chauffés à plus de 500 °C pour devenir liquides et transporter la chaleur et l’énergie produites.
Un procédé qui, sur le papier, offrirait une plus grande sûreté des installations. “Certains risques d’accident sont théoriquement éliminés car la combustion liquide permet d’éviter les situations où la réaction nucléaire peut s’emballer et endommager les structures du réacteur”, souligne Jean-Claude Garnier.
Autre avantage pour la Chine : ce type de réacteur n’a pas besoin d’être construit près de l’eau car c’est le sel fondu “qui sert de fluide de refroidissement, contrairement aux centrales classiques à uranium qui ont besoin d’énormes quantités d’eau pour refroidir leurs réacteurs”, écrit le journal Les Échos. De ce fait, les réacteurs peuvent être installés dans des régions isolées et désertiques, comme le désert de Gobi.
Du thorium en abondance
Pékin a aussi opté pour rajouter du thorium plutôt que de l’uranium à son nouveau réacteur à sels fondus. Là encore, c’est une idée qui flotte dans l’air depuis longtemps. Le principal avantage, “c’est qu’il y a beaucoup plus de thorium que d’uranium dans la nature”, souligne Francesco D’Auria, spécialiste des technologies de réacteurs nucléaires à l’université de Pise, contacté par France 24.
Cerise sur le gâteau, le thorium appartient à la célèbre famille des terres rares qui sont bien plus abondantes en Chine qu’ailleurs. Pékin pourrait ainsi accroître son indépendance énergétique par rapport aux grands pays exportateurs d’uranium comme le Canada ou l’Australie, deux pays avec lesquels la Chine n’entretient pas les meilleures relations diplomatiques.
C’est aussi un pari sur le plus long terme. “Pour l’instant, il y a suffisamment d’uranium pour alimenter tous les réacteurs en service. Mais si leur nombre augmente, on pourrait arriver à une situation où l’offre ne suivrait plus, et le recours au thorium permet de réduire drastiquement les besoins en uranium, ce qui en fait une filière potentiellement plus durable”, explique Sylvain David.
Les partisans du thorium ajoutent que c’est aussi une solution plus “propre” car sa combustion ne crée pas du plutonium – un élément chimique très toxique –, contrairement à l’uranium utilisé à l’heure actuelle dans les centrales nucléaires, souligne la revue Nature.
Sur le papier, le mariage réacteur à sels fondus et thorium semble donc avoir tout bon. Si on n’y a pas eu recours plus tôt, “c’est essentiellement parce que l’uranium 235 était le candidat naturel pour les réacteurs nucléaires et que le marché n’a pas cherché beaucoup plus loin”, assure Francesco D’Auria.
Radiations et corrosion
Il est vrai que des trois candidats à une réaction nucléaire – l’uranium 235, l’uranium 238 et le thorium –, le premier est “le seul isotope fissile naturel”, rappelle Sylvain David. C’est-à-dire que les autres doivent être bombardés par des neutrons pour obtenir de la matière fissile utilisable par un réacteur nucléaire. Un procédé réalisable mais plus complexe.
C’est ainsi que le thorium donne de l’uranium 233, qui est la matière fissile nécessaire pour la production d’énergie nucléaire. Et c’est un autre problème avec le thorium : “Les radiations émises par l’uranium 233 sont plus fortes que celles des autres isotopes, donc il faut faire plus attention”, affirme Francesco D’Auria.
La faisabilité des réacteurs à sels fondus est aussi sujette à caution. Le casse-tête technique tient au fait “qu’à très forte température, le sel devient corrosif pour les structures du réacteur et il faut trouver le moyen de les protéger”, explique Jean-Claude Garnier.
C’est pourquoi les tests réalisés par la Chine sur leur nouveau réacteur vont être suivis de très près pour savoir comment les ingénieurs ont surmonté cet obstacle. Mais même si les Chinois crient victoire, il ne faudra pas se réjouir trop vite, assure Francesco D’Auria. “Le problème avec les produits corrosifs, c’est qu’on ne s’en rend compte qu’après cinq à dix ans”, note ce chercheur.
Et puis, il n’y a pas, à son avis, de raison de sabrer le champagne pour un réacteur qui, en plus de l’énergie, produit de l’uranium 233. “C’est un isotope qui n’existe pas à l’état naturel et qui peut être utilisé pour construire une bombe atomique”, souligne Francesco D’Auria. En clair, les Chinois vont peut-être révolutionner la filière du nucléaire, mais ils vont aussi rajouter un souci supplémentaire à tous ceux qui s’inquiètent de la prolifération nucléaire.