Publié le : 09/09/2021
Un an après son lancement, le dispositif spécifique mis en place pour les travailleurs étrangers “en première ligne” durant la crise sanitaire a abouti à la naturalisation de 12 012 personnes. Une procédure qui “masque le durcissement politique” qui s’exerce par ailleurs sur “l’accès aux droits des personnes étrangères installées en France”, déplorent les associations.
Ils sont aides à domicile, caissiers, éboueurs, agents d’entretien, professionnels de santé, employés dans le secteur funéraire ou encore éboueurs. Au total, 12 012 travailleurs étrangers “en première ligne pendant la crise sanitaire” ont obtenu leur naturalisation, sur 16 381 dossiers déposés en préfecture en un an, indique un communiqué du ministère de l’Intérieur. Le résultat d’un dispositif exceptionnel d’acquisition de la nationalité française lancé le 14 septembre 2020 par la ministre déléguée à la Citoyenneté, Marlène Schiappa.
“Ces travailleurs de la première ligne ont répondu présents pour la nation. C’est normal que la nation fasse un pas vers eux. Je souhaite bienvenue dans la nationalité française à nos nouveaux compatriotes et leur dis merci au nom de la République : le pays a tenu bon aussi grâce à eux !”, a-t-elle déclaré.
Pour prétendre à la naturalisation dans ce cadre, tout travailleur étranger en situation régulière – donc détenteur par exemple d’un titre de séjour – a dû remplir une attestation spécifique à glisser dans le dossier habituel de demande d’accès à la nationalité française. La procédure, qui s’appliquait jusqu’au 15 juillet 2021, s’adressait aux demandeurs exerçant “une profession particulièrement exposée ou indispensable à la continuité de la nation pendant la période de crise sanitaire”, précise le ministère. Il fallait également justifier “d’un engagement professionnel actif pendant la période d’état d’urgence du Covid-19”.
Pour ces derniers, la durée minimale exigée de résidence en France a été réduite à deux ans, au lieu de cinq habituellement. À cela s’ajoute les conditions demandées d’ordinaire pour une naturalisation, notamment “une connaissance suffisante” de la langue française, de sa culture et “l’adhésion aux principes et aux valeurs essentiels de la République”.
Un “effet d’annonce”
Si la mesure a pu être utile à ses 12 000 bénéficiaires, pour les associations de défense des droits des migrants, sa portée reste très limitée. Antoine Math, membre du Gisti, y voit avant tout un “effet d’annonce”, destiné à “masquer le durcissement politique qui s’exerce par ailleurs sur la question”. “La demande de naturalisation est une procédure difficile, dont le niveau est bien plus élevé qu’auparavant, assure-t-il. Nos parents étrangers devenus français il y a encore 20 ans ne le seraient jamais devenus avec les exigences actuelles”. Pour preuve, selon lui : “la baisse drastique” de naturalisations opérées l’année dernière. En 2020, 61 371 personnes ont acquis la nationalité française, soit 20 % de moins que l’année précédente.
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Pour la Cimade aussi, le dispositif et ses résultats, célébrés en grande pompe ce jeudi 9 septembre au Panthéon, cache “le silence des pouvoirs publics sur les autres enjeux, immenses, d’accès aux droits des personnes étrangères installées en France, qu’elles travaillent ou non dans des secteurs désormais dits essentiels”, avait affirmé l’association en janvier.
Parmi eux, l’accès aux démarches administratives, rendues très difficiles depuis le début de la pandémie. “Les préfectures sont devenues plus inaccessibles que jamais aux demandeurs et demandeuses d’un titre de séjour ou d’une naturalisation en raison de la dématérialisation des procédures – même pour celles et ceux potentiellement concernés par la mesure gouvernementale”, avait dénoncé la Cimade.
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Des personnes qui, une fois naturalisées, sont “affublées du tampon ‘méritant'”, regrette Antoine Math, opérant de fait “une division entre l’étranger respectable, et les autres”. La directive, qui concerne uniquement les étrangers en situation régulière, “exclue les quelque 350 000 sans-papiers qui vivent dans l’Hexagone”, déplore également la Cimade.
Alors que “la majorité travaille dans des emplois dits d’utilité sociale essentielle comme le nettoyage, la manutention, la mise en rayon, la livraison, la sécurité ou l’aide à la personne”, expliquait en septembre 2020 Marilyne Poulain de la CGT à InfoMigrants. Au contraire des travailleurs naturalisés, ceux-là ne seront pas, comme l’indique le ministère de l’Intérieur, “conviés, Place Beauvau, à la rentrée”.