Les Taliban qui ont repris le pouvoir en Afghanistan ont dévoilé mardi une partie de leur futur gouvernement, qui sera dirigé par Mohammad Hassan Akhund. Karim Pakzad, chercheur à l’Iris, se penche sur les profils des principaux ministres.
Trois semaines après avoir pris le contrôle de Kaboul, les Taliban ont annoncé la formation d’un nouveau gouvernement dit provisoire, qui sera dirigé par Mohammad Hassan Akhund, un ancien proche du fondateur du mouvement, le mollah Omar.
Focus sur les principales figures de ce gouvernement avec Karim Pakzad, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), spécialiste de l’Afghanistan.
- Mollah Mohammad Hassan Akhund – Premier ministre
Pachtoun originaire de Kandahar, le Premier ministre taliban a été un proche collaborateur et conseiller politique du fondateur du mouvement et chef suprême, le mollah Omar. Sous le premier gouvernement taliban (1996-2001), il a notamment été vice-ministre des Affaires étrangères et gouverneur de la province de Kandahar.
Son nom figure sur la liste des sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU liées aux “actes et activités des Taliban”.
“Mohammad Hassan Akhund est l’un des dirigeants historiques des Taliban, indique Karim Pakzad. Il se trouvait d’ailleurs déjà aux côtés du mollah Omar lorsque celui-ci avait fondé le mouvement. Il a beau être mollah, il reste un personnage au profil très politique, aussi malin qu’intelligent, et qui sait faire des compromis. C’est ce qui explique qu’il a pu traverser ces vingt dernières années sans encombre au sommet de la direction des Taliban, malgré toutes les rivalités claniques et les divisions internes qui ont secoué le mouvement.”
“Son profil rassembleur explique notamment sa nomination au poste de chef du gouvernement, ajoute-t-il. Cependant, il hérite d’un poste honorifique, puisqu’au-dessus de lui figure le mollah Haibatullah Akhundzada, qui est le commandant suprême des Taliban et qui décide de tout, un peu à l’image du guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei.”
- Abdul Ghani Baradar – premier vice-Premier ministre
Également originaire de Kandahar, Abdul Ghani Baradar a été désigné numéro 2 du nouvel exécutif taliban. Ancien moudjahid, mobilisé contre l’invasion soviétique de 1979, il a combattu aux côtés du mollah Omar, et fondé avec lui le mouvement des Taliban au milieu des années 1990.
Il est un acteur de premier plan de la célèbre “Choura de Quetta”, un groupe de vétérans du régime taliban dirigeant des opérations depuis le territoire pakistanais après l’invasion américaine de 2001 qui a renversé les islamistes afghans.
Abdul Ghani Baradar était le chef militaire des Taliban quand il a été arrêté en 2010 à Karachi, au Pakistan. Il a été libéré en 2018, sous la pression de Washington. Peu après, il est parti au Qatar pour diriger les bureaux diplomatiques des Taliban. À ce poste, il a conduit les négociations de Doha avec les Américains menant au retrait des forces étrangères d’Afghanistan.
“Les observateurs pensaient que c’était lui qui allait être nommé à la tête du gouvernement, parce qu’il est l’un des fondateurs du mouvement, qu’il est très expérimenté et que c’est un proche du mollah Haibatullah Akhundzada, le chef suprême des Taliban, précise Karim Pakzad. Il était tout désigné pour ce poste, car il incarne, que cela soit vrai ou faux, un visage pragmatique et modéré des Taliban, que le mouvement cherche à promouvoir à l’étranger.”
Et d’ajouter : “Il se peut qu’il ait fait les frais d’une lutte d’influence qui lui ait coûté le poste de Premier ministre, parce qu’il a un statut à même de faire de l’ombre au chef du réseau Haqqani, qui a lui été nommé ministre de l’Intérieur.”
- Mollah Abdul Salam Hanafi – deuxième vice-Premier ministre
D’origine très modeste, Abdul Salam Hanafi, qui figure aussi sur une liste noire de l’ONU, était vice-ministre de l’Éducation sous le premier gouvernement taliban, qui avait notamment interdit la scolarisation des filles. Après le départ du pouvoir des Taliban en 2001, il a pris la tête de la province de Djozdjan (nord), contrôlée par les Taliban. Il a également été accusé par le Conseil de sécurité de l’ONU d’être impliqué dans le trafic de drogue.
Une interdiction de voyager imposée par l’ONU avait été levée afin de lui permettre de participer aux pourparlers politiques à Doha.
“La particularité de ce mollah, dont les Taliban profitent pour présenter un visage d’ouverture, est qu’il n’est pas pachtoun, comme les autres cadres du mouvement, mais ouzbek, souligne Karim Pakzad. S’il n’avait aucun pouvoir lors du premier gouvernement taliban, il est aujourd’hui bien plus influent, car il a réussi à implanter le mouvement chez les Ouzbeks du nord de l’Afghanistan. C’est la raison pour laquelle il est monté en grade, au point de devenir l’un des numéros 2 du gouvernement.”
- Mollah Mohammad Yaqoub – ministre de la Défense
Fils du mollah Omar, Mohammad Yaqoub est le plus jeune des dirigeants talibans. Ce trentenaire, qui dirigeait la puissante commission militaire du mouvement, qui a décidé des orientations stratégiques dans la guerre contre le pouvoir afghan soutenu par Washington, a été logiquement nommé ministre de la Défense.
Comme son défunt père, il fait office de figure unificatrice au sein d’un mouvement secoué par les luttes intestines. Mohammad Yaqoub aurait d’ailleurs été pressenti un temps comme commandant suprême, après la mort du mollah Mansour, en 2016. Mais il aurait été jugé trop inexpérimenté à l’époque.
“Ce personnage très mystérieux, qui tire un certain prestige de sa filiation avec le fondateur du mouvement, est le protégé du mollah Haibatullah Akhundzada, qu’il a toujours soutenu dans les luttes internes. Mohammad Yaqoub a logiquement hérité d’un ministère clé dans un pays qui n’est pas encore stabilisé, et où le nouveau pouvoir est contesté, pointe Karim Pakzad. Il va également devoir gérer l’après-guerre et le contrôle des stocks d’armes abandonnés par les Américains, ce qui n’est pas une mince affaire dans un pays qui n’a jamais vraiment été centralisé.”
- Sirajuddin Haqqani – ministre de l’Intérieur
Sirajuddin Haqqani, qui serait âgé d’une quarantaine d’années aujourd’hui, est le chef du réseau Haqqani, accusé d’une série d’attaques terroristes en Afghanistan et lié à Al-Qaïda. Le réseau a été fondé par son père, Jalaluddin, dans les années 1980, lors de la guerre contre l’URSS. Après le retrait des Soviétiques, Jalaluddin Haqqani développe des liens étroits avec des jihadistes étrangers, dont Oussama Ben Laden.
Très tôt, dès 1995, le père Haqqani prête allégeance aux Taliban. Il combat les États-Unis et leurs alliés à partir de 2001.
Devenu chef du réseau Haqqani après la mort de son père, en 2018, Sirajuddin Haqqani figure sur la liste des suspects les plus recherchés du FBI.
Selon un rapport de l’ONU publié en juin, Sirajuddin Haqqani et ses hommes ont énormément contribué aux avancées des Taliban, dont ils sont les “forces les plus prêtes au combat”.
“Ironiquement, ce personnage à la réputation sulfureuse, qui est recherché pour actes de terrorisme et dont toute information menant à sa capture est récompensée par les Américains à hauteur de 5 millions de dollars, a été nommé ministre de l’Intérieur. Même si ce protégé des services pakistanais prétendait à un poste encore plus important, il s’agit du portefeuille le plus stratégique du gouvernement, parce qu’il va permettre à Sirajuddin Haqqani d’avoir la main sur l’Afghanistan profond, estime Karim Pakzad. Dans le sens où c’est ce ministère qui gère les relations entre Kaboul et les provinces et qui nomme les gouverneurs.”