Où est passé Slimane Bouhafs, un réfugié algérien en Tunisie disparu depuis le 25 août ? Cinq jours plus tard, une quarantaine d’ONG ont accusé Tunis d’avoir livré l’opposant aux autorités de son pays, en violation des conventions internationales. D’aucuns font le parallèle avec l’arrestation, en Algérie, de l’homme d’affaires et ex-candidat à l’élection présidentielle tunisienne, Nabil Karoui.
Porté disparu depuis le 25 août, à Tunis, l’Algérien Slimane Bouhafs n’a toujours pas donné signe de vie au 1er septembre, alors que des médias ont indiqué qu’il se trouvait désormais en Algérie. Ce réfugié pourrait même y être présenté devant un juge prochainement, selon la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme.
L’affaire, qui n’a été commentée officiellement ni à Alger, ni à Tunis, fait grand bruit en Tunisie depuis quelques jours. Une quarantaine d’ONG des droits de l’Homme tunisiennes se sont mobilisées pour faire part de leur indignation et demander des clarifications aux autorités qu’elles accusent d’avoir “livré Slimane Bouhafs” à l’Algérie.
“Nous avons reçu des informations indiquant, le 25 août, que Slimane Bouhafs a été arrêté, sans savoir par qui ni pour quel motif, explique à France 24, Romdhane Ben Amor, chargé de communication du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES). Nous avons essayé avec l’aide de plusieurs avocats de le rechercher, dans des commissariats de police et le tribunal de Tunis, sans trouver la moindre information. Nous avons continué à creuser, avant de finalement apprendre, le 29 août, grâce à des médias algériens que Slimane Bouhafs se trouvait aux mains des autorités algériennes et qu’il sera jugé sur place”.
L’opposant Slimane Bouhafs, 54 ans, est accusé par Alger de militer au sein du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), une organisation indépendantiste classée “terroriste” par le pouvoir. Avant de demander l’asile en Tunisie, il avait été condamné, en 2016, à trois ans de prison ferme pour “atteinte à la foi musulmane” dans des publications postées sur sa page Facebook. Cet ancien policier, converti au christianisme à la fin des années 1990, sera finalement libéré près de deux ans après son incarcération, bénéficiant d’une grâce présidentielle.
Silence radio de Tunis
Romdhane Ben Amor dénonce le silence radio opposé par le pouvoir tunisien sur ce dossier. “Nous n’avons aucune réponse du côté des autorités tunisiennes sur le sort de Slimane Bouhafs, et sa famille n’a toujours aucun contact avec lui, par conséquent nous considérons que cet homme est en situation de disparition forcée”.
Et d’ajouter : “Nous demandons des explications car nous voulons savoir pourquoi et comment un homme placé sous la protection du HCR [Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, NDLR] a été livré à Alger, l’État tunisien doit expliquer ce qu’il s’est passé avec ce réfugié, car c’est un précèdent dangereux qui viole l’article 26 de notre Constitution garantissant le droit d’asile et les obligations de la Tunisie qui a signé des conventions internationales”.
Les associations et les organisations tunisiennes indiquent que le HCR a accordé à Slimane Bouhafs le statut de réfugié en septembre 2020, ce qui garantit une protection internationale au bénéficiaire et impose à la Tunisie, en tant que signataire de la Convention de Genève de 1951, de son Protocole de 1967 et de la Convention de 1984 contre la torture, de ne pas l’extrader.
“Ce n’est ni la nationalité, ni ce qui est éventuellement reproché à Slimane Bouhafs qui nous motive, mais bel et bien la défense du statut de réfugié qui a été bafoué et les procédures qui n’ont pas été respectées”. Romdhane Ben Amor assure que les ONG tunisiennes auraient agi de la même manière si Slimane Bouhafs avait été un réfugié soudanais, ivoirien ou syrien.
“C’est un précédent qui remet tout en cause, et on peut se demander, par exemple, si la Tunisie livrera un jour des réfugiés syriens au régime de Bachar al-Assad s’il le lui réclamait, plaide-t-il. Ce n’est pas acceptable, tout comme le silence des autorités sur cette affaire, surtout dans un contexte où il y a beaucoup d’inquiétudes sur les droits et les libertés en Tunisie”. Une référence au coup de force du président Kaïs Saïed qui a décidé, fin juillet, de s’octroyer les pleins pouvoirs, de suspendre le Parlement et de limoger le Premier ministre, Hichem Mechichi.
Un parallèle avec l’arrestation de Nabil Karoui ?
Cette affaire intervient quelques jours après l’arrestation, en Algérie, de l’ancien candidat à la présidentielle tunisienne, Nabil Karoui, accusé d’être entré illégalement sur le territoire algérien, selon plusieurs médias tunisiens. Propriétaire de la chaîne tunisienne Nessma et président du parti Qalb Tounes, il avait été libéré le 15 juin dernier après six mois en détention pour une affaire de blanchiment d’argent et d’évasion fiscale.
La justice tunisienne a lancé, mardi, un “avis de recherche” contre Nabil Karoui et son frère député, alors que jusqu’à présent, ni l’Algérie ni la Tunisie n’ont officiellement confirmé son arrestation.
Toujours est-il que les ONG se gardent de faire un parallèle entre les deux affaires, même si des médias tunisiens et des militants sur les réseaux sociaux ont estimé que l’arrestation des frères Karoui serait intervenue en échange de la remise de Slimane Bouhafs à l’Algérie.
“Nous n’avons aucune information à ce sujet, et aux yeux de notre organisation, le cas de Slimane Bouhafs est le plus sensible. Nabil Karoui est un homme politique, alors que Slimane Bouhafs est un réfugié protégé par des conventions et il est inimaginable qu’il puisse être l’objet de marchandages diplomatiques ou politiques entre la Tunisie et l’Algérie”.