Publié le : 17/08/2021
En Lituanie, certains migrants sont enfermés depuis plus d’un mois dans les camps ouverts à la hâte par les autorités de Vilnius. En plus de leurs conditions extrêmement précaires, ils souffrent d’isolement et du manque d’informations. Les autorités lituaniennes, elles, disent manquer de moyens pour examiner les demandes de protections de chacun.
Au bout d’une route en terre cabossée, le camp de Rudninkai semble avoir eu du mal à se faire une place dans la forêt, tant les arbres sont partout, autour et dans le camp. Le lieu – originellement un centre d’entraînement du ministère de l’Intérieur – est entouré de grillages et placé sous la surveillance de plusieurs fourgons de police ainsi que d’un drone au bourdonnement désagréable.
Bien que situé à seulement 30 km de Vilnius, le camp semble loin de tout. Au milieu de toute cette verdure, les migrants ont l’impression d’avoir été cachés, voire oubliés.
“Quelles sont les nouvelles ? Qu’est-ce qu’il va nous arriver ?”, demande Safaa, un Irakien de 33 ans, à travers le grillage. Rudninkai est encerclé par une double enceinte. Les journalistes ne sont autorisés qu’à franchir le premier grillage. Ils n’ont pas accès aux lieux de vie des exilés, derrière la 2e clôture.
“Tout le monde nous pose des questions mais personne ne répond aux nôtres !”, s’énerve Safaa, enfermé à Rudninkai depuis plus d’une semaine. En Lituanie, tous les migrants sont retenus dans des camps au cours des six mois qui suivent leur arrivée dans le pays, en vertu d’une loi adopté le 13 juillet.
Explosion des vols Bagdad-Minsk
Comme les 2 800 autres Irakiens arrivés en Lituanie en 2021, ce jeune ingénieur en mécanique, originaire de Bagdad, ne savait rien de la Biélorussie ou de la Lituanie avant de quitter l’Irak. Quand la nouvelle de l’ouverture de la frontière a circulé dans la capitale irakienne, il a acheté un billet d’avion pour Minsk. De là, il a pris un taxi jusqu’à la frontière et a fini le chemin à pieds. Des garde-frontières lituaniens l’ont arrêté et amené à Rudninkai.
>> À lire : La Lituanie construit un mur à la frontière avec la Biélorussie
Les arrivées d’Irakiens ont explosé après que les vols reliant Bagdad à Minsk ont été multipliés au début de l’été pour atteindre quatre vols par semaine. À leur arrivée à Minsk, les Irakiens se voient remettre un visa touristique et peuvent poursuivre leur route vers la frontière.
Le 6 août, suite aux pressions européennes, les autorités irakiennes ont annoncé la suspension temporaire des vols pour la Biélorussie. Le rapatriement des Irakiens a également débuté. Selon Ahmed al-Sahaf, porte-parole de la diplomatie irakienne interrogé par l’AFP, un avion est arrivé le 10 août à Bagdad depuis Minsk “avec 240 citoyens irakiens à son bord, tandis que 130 Irakiens [avaient] été ramenés sur un premier vol”, la veille.
“Nous cherchons seulement à être en sécurité”
Aux côtés de Safaa, le frêle Kadhim, 22 ans, raconte le même périple que son compatriote. “Nous cherchions seulement à être en sécurité”, explique-t-il. “À Bagdad j’étais étudiant en architecture mais rien n’allait bien là-bas et je n’avais pas d’argent pour continuer à payer mes études.”
Le jeune homme est arrivé en Lituanie le 1er août après avoir quitté Bagdad deux jours plus tôt. Comme les quelques 350 autres hommes enfermés à Rudninkai, il se plaint des conditions de vie dans le camp. Les exilés dorment à 15 ou 20 sous des tentes qui, les jours de pluie, s’affaissent sous le poids de l’eau. La promiscuité leur fait craindre la contagion de maladies cutanées et respiratoires.
Safaa affirme que certaines personnes ont le Covid-19 bien que tous les exilés soient testés et placés en quarantaine à leur arrivée dans le pays. Kadhim, lui, assure qu’un seul repas par jour leur est servi.
Pour ces exilés qui pensaient pouvoir rejoindre l’Europe de l’ouest en quelques jours, leur principale préoccupation reste l’incertitude quant à leur sort.
À Rudninkai, l’angoisse est décuplée par un accès à l’électricité très limité. Les exilés ont le plus grand mal à recharger régulièrement leurs téléphones, rendant leur isolement encore plus difficile à vivre.
Crainte d’être expulsés
Dans le centre de Vydenai, à environ 80 km de Vilnius, l’accès à l’électricité est plus simple. Cette ancienne école héberge 146 personnes, toutes originaires de pays africains. Les salles du rez-de-chaussée sont réservées aux femmes, les hommes, eux, sont à l’étage. Chaque personne a un lit de camp et un duvet pour dormir.
Si les conditions de vie sont meilleures qu’à Rudninkai, les exilés partagent les mêmes questions – “Que dit-on de nous dehors ?” – et les mêmes craintes – celles d’être renvoyés dans leur pays d’origine, à savoir le Congo Brazzaville, la République démocratique du Congo (RDC), le Cameroun, la Guinée ou encore l’Érythrée.
Les arrivées par avions de centaines d’Irakiens en Lituanie ont occupé l’espace médiatique et les arrivées de jeunes Africains sont passées plus inaperçues. Pourtant, selon les chiffres transmis à InfoMigrants par le bureau du vice-ministre de l’Intérieur, les Congolais du Congo-Brazzaville et les Camerounais sont les 2e et 3e nationalités les plus représentées parmi les migrants en Lituanie, après les Irakiens. Les deux pays ont représenté respectivement 200 et 131 arrivées en 2021.
“Vous raconter mon histoire ? Non, c’est trop”
Contrairement aux Irakiens, les Africains n’ont pas quitté leur pays du jour au lendemain pour se rendre en Lituanie. La plupart vivaient en Biélorussie depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois, grâce à un visa étudiant ou touristique. Beaucoup, comme Christian et Laurenne, s’étaient installés en Biélorussie pour quitter au plus vite la RDC où ils étaient menacés, affirment-ils.
Membre de la communauté LGBT, Christian raconte avoir été arrêté en mars dernier. “J’ai été condamné à quatre ans de prison pour incitation à la dépravation et atteinte aux bonnes mœurs.” Grâce à un ami de son frère installé en Biélorussie, il a obtenu une invitation pour Minsk. Il a obtenu, début avril, un visa touristique à son arrivée à l’aéroport.
Laurenne, elle, semble soudainement terrifiée lorsqu’on lui demande les raisons qui l’ont poussée à quitter la RDC. “Vous raconter mon histoire ? Non, je ne peux pas, c’est trop”, s’excuse-t-elle avant de glisser qu’elle a été “menacée de mort par des policiers”. Déçue par la Biélorussie où elle affirme avoir été victime de racisme, Laurenne explique avoir voulu aller en Lituanie “pour être en sécurité”.
Manque de traducteurs
Comme la plupart des exilés arrivés dans le pays balte, elle demandera une protection internationale. Mais les chances qu’elle l’obtienne sont faibles. “Pratiquement aucun d’entre vous n’obtiendra l’asile, ni ne sera reconnu en tant que réfugié”, avait déclaré le ministre lituanien des Affaires étrangères, Gabrielius Landsbergis, le 19 juillet, dans un message posté sur Facebook, en anglais et en arabe, et directement adressé aux exilés.
Interrogé par écrit par InfoMigrants, le vice-ministre de l’Intérieur, Arnoldas Abramavičius, affirme, lui, que “toute les personnes ayant besoin d’une protection peuvent demander l’asile” en Lituanie et que “chaque demande [sera] examinée individuellement”.
Mais dans ce petit pays d’à peine 3 millions d’habitants qui n’avait eu à gérer que 37 arrivées irrégulières en 2019 et 74 en 2020, “principalement de Russie et de Biélorussie”, l’arrivée de plus de 4 100 demandeurs d’asile a créé un problème logistique.
“Nous rencontrons des problèmes de traduction parce que les migrants parlent différentes langues et nous manquons de traducteurs qui pourraient travailler en face à face avec les migrants, donc les processus sont assez lents”, souligne Arnoldas Abramavičius.
Le rythme devrait s’accélérer progressivement au cours des prochaines semaines. Le vice-ministre assure que les autorités sont “constamment à la recherche de traducteurs”. Le département des migrations “recrute également davantage d’experts qui pourraient travailler sur les demandes d’asile afin que le processus soit plus rapide”, précise-t-il.
Le gouvernement lituanien compte également sur d’éventuels retours volontaires dans les pays d’origine pour faire baisser le nombre de demandes d’asile. Les migrants volontaires à cette démarche “recevront un billet d’avion gratuit et 300 € en espèces”, détaille Arnoldas Abramavičius.
Vendredi, la ministre de l’Intérieur, Agne Bilotaite a déclaré que quelques 1 500 demandes d’asile étaient en cours d’examen mais que peu de personnes s’étaient portées candidates à un retour volontaire.