Après l’attaque d’un pétrolier qui a coûté la vie à deux personnes en mer d’Oman, l’Iran a été pointé du doigt, dimanche, par Israël, les États-Unis et le Royaume-Uni. Cet incident représente une importante escalade dans la “guerre de l’ombre maritime” entre l’Iran et Israël.
Ils sont tous montés au créneau ce week-end. Washington, Londres et Tel Aviv ont accusé Téhéran, dimanche 1er août, d’être responsable de l’attaque au drone contre le pétrolier MT Mercer Street, géré par un milliardaire israélien, en mer d’Oman. L’incident, survenu le 28 juillet, a coûté la vie à deux membres de l’équipage, un Britannique et un Roumain.
“Nous avons des preuves de l’implication iranienne”, a déclaré Naftali Bennett, le Premier ministre israélien, tandis que Dominique Raab, le ministre britannique des Affaires étrangères, estime qu’il “s’agit d’une attaque délibérée et ciblée, en violation des règles internationales, menées par l’Iran”. Israël et ses alliés ont ajouté réfléchir à des mesures de représailles. Le Premier ministre britannique, Boris Johnson, a d’ailleurs affirmé que l’Iran devrait “faire face aux conséquences” d’une attaque qu’il a qualifiée d’”inacceptable et scandaleuse”.
Cinquième navire ciblée par l’Iran depuis début 2021
Ces menaces n’ont pas plu à l’Iran, qui maintient n’être pour rien dans ce incident. Saeed Khatibzadeh, le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, a promis que son pays “répondrait immédiatement et de manière décisive à tout éventuel aventurisme” s’il était pris pour cible.
As guarantor of Persian Gulf security, Iran strongly condemns provocative & orchestrated UK/US statements.
Having kept silent abt REPEATED terrorist attacks on IRANIAN ships, they now baselessly accuse IRAN.
Any anti-Iran adventurism will receive IMMEDIATE & DECISIVE response.
— Saeed Khatibzadeh (@SKhatibzadeh) August 2, 2021
L’escalade verbales de ces derniers jours et les menaces proférées de part et d’autre s’expliquent par le fait que “c’est la première fois en deux ans d’attaques maritimes entre Israël et l’Iran qu’il y a eu des morts”, rappelle sur Twitter Kian Sharifi, spécialiste de l’Iran pour la chaîne britannique BBC. “Le décès des deux membres de l’équipage constitue une importante escalade dans le conflit larvé entre les deux pays, et il faut s’attendre à des réponses diplomatiques fortes”, ont analysé les experts du Dryad Global, un cabinet de conseil spécialisé dans les menaces maritimes, dans une note publiée vendredi 30 juillet.
C’est le genre d’incident contre lesquels les experts des relations irano-israéliennes mettent en garde depuis que la mer est devenue, il y a plus de deux ans, un nouveau champ de bataille entre les deux pays. “C’est une guerre froide qui risque de se réchauffer à la moindre erreur”, assurait Ali Vaez, spécialiste de l’Iran à l’International Crisis Group, interrogé par le magazine Foreign Policy.
Le pétrolier MT Mercer Street, qui était parti de Tanzanie le 21 juillet pour rejoindre les Émirats arabes unis, est loin d’être le premier navire à faire les frais en mer des tensions entre Tel Aviv et Téhéran. En réalité, ces attaques semblent être devenues l’une des nombreuses facettes du conflit, aux côtés des frappes aériennes israéliennes, des roquettes lancées par le Hezbollah – la milice pro-iranienne au Liban – ou de la guerre dans le cyberespace. Surtout, ces incidents en mer sont de plus en plus fréquents.
Israël a, ainsi, mené des “opérations commando contre au moins 10 navires iraniens depuis 2019, d’après des responsables américains”, rappelle le New York Times. De son côté, l’Iran a déjà ciblé cinq navires marchands ayant des liens avec Israël depuis le début de 2021.
C’est ce que les médias commencent à appeler “la guerre de l’ombre en mer” entre les deux puissances régionales. ”C’est un conflit en mer Méditerranée et en mer Rouge dans lequel aucun des deux pays ne peut se permettre d’apparaître faible, mais où ils font attention à bien calibrer leurs attaques pour éviter qu’elles ne débouchent sur une guerre ouverte qui risquerait d’embraser toute la région”, analyse la BBC.
Tester l’adversaire
L’Iran considère les opérations en mer comme un moyen idéal de tester la résolution des dirigeants israéliens et de leur allié américain, estime le Jerusalem Post. Ce ne serait pas un hasard, d’après ce journal conservateur israélien, si les opérations se sont amplifiées depuis la victoire du démocrate Joe Biden à l’élection présidentielle américaine de novembre 2020.
L’attaque visant le MT Mercer Street “s’est aussi déroulée alors que le pétrolier était non loin du porte-avion américain USS Ronald Reagan, apparemment pour envoyer un message aux Américains”, souligne sur Twitter Farzim Nadimi, spécialiste de l’Iran pour le Washington Institute, un cercle de réflexion américain conservateur.
Pour Israël, la mer représente également le champ de bataille idéal pour se montrer ferme sans faire trop de dégâts. Les transporteurs iraniens attaqué ont dû être immobilisés quelques jours pour des réparations, ce qui a, essentiellement, retardé les livraisons prévues, souligne le Foreign Policy.
Mais c’est aussi pour Tel Aviv un moyen d’essayer d’asphyxier un peu plus l’Iran financièrement. La plupart des cibles maritimes israéliennes étaient des cargos qui transportaient du pétrole à destination de la Syrie. Le régime de Bachar al-Assad est l’un des derniers clients importants pour le pétrole iranien, dont l’exportation est soumise aux nombreuses sanctions américaines frappant Téhéran.
D’ailleurs, le harcèlement israélien des pétroliers iraniens est devenu à ce point problématique que des navires militaires russes ont commencé à les escorte,r afin de s’assurer que le précieux or noir arrive bien entre les mains de leur allié syrien, note le New York Times.
Perturber la vente du pétrole à la Syrie est d’autant plus important aux yeux de Tel Aviv que “cela empêche l’Iran de récupérer de l’argent qu’il peut ensuite envoyer au Hezbollah au Liban”, estime Sima Shine, un ancien analyste du Mossad, interrogé par le New York Times.
Jusqu’à présent, la “guerre de l’ombre maritime” entre l’Iran et Israël se résumait à un “œil pour œil, dent pour dent” où chacun répondait à une précédente attaque en essayant de contrecarrer les plans de l’adversaire. Mais les frappes par drones sur le MT Mercer Street qui ont fait deux victimes, dont un Britannique, ont changé la donne. Cet incident va forcer Israël, les États-Unis et le Royaume-Uni à trouver une riposte appropriée, un premier test pour le nouveau et très conservateur président Ebrahim Raïssi, qui doit prendre officiellement ses fonctions le 3 août.