Révélés pendant la crise sanitaire (1/4). Alors inconnue des réseaux sociaux, Marie-Solène Letoqueux, enseignante d’une classe de maternelle en Bretagne, a connu un immense succès lors du premier confinement en France en créant “La maîtresse part en live”, une émission diffusée sur sa chaîne YouTube. Depuis, elle est auréolée de nombreuses distinctions.
Ne lui parlez surtout pas de “star de YouTube” ou de “reine des maîtresses 2.0”, Marie-Solène Letoqueux balaye tous ces qualificatifs parus dans la presse française d’un revers de manche. La professeure des écoles de 34 ans assure n’avoir fait que son métier lors du premier confinement dans l’Hexagone. Tous les enseignants n’ont pourtant pas créé leur chaîne YoutTube pour assurer le suivi pédagogique de leurs élèves.
Lorsque Emmanuel Macron annonce, le 12 mars, la fermeture des écoles, l’institutrice bretonne de Luitré-Dompierre, petite commune bretonne de 2 000 âmes à côté de Fougères, est plutôt satisfaite. “Je me suis dit que j’allais pouvoir m’occuper de ma petite fille qui n’avait que quatre mois à l’époque. Mais mon mari m’a très vite dit que je n’allais pas supporter de ne pas travailler, que j’allais tourner en rond dans ma maison. Il m’a alors proposé de continuer à faire classe sur une chaîne YouTube”. D’abord hésitante, la professeure des écoles se laisse finalement convaincre par les arguments de son conjoint. Il faut dire que ce dernier n’est pas un débutant en la matière : l’ancien YouTubeur connu sous le pseudonyme RealMyop est un passionné de jeux vidéo qui a monté sa propre boîte de production et réalise des contenus audiovisuels de vulgarisation scientifique notamment pour Arte.
L’heure du direct a sonné
Le matériel et les compétences sont là. Il ne reste plus qu’à se relever les manches et concrétiser le projet. Une pièce de la maison est transformée en salle de classe, le décor est planté, la trame de l’émission est achevée. Une petite équipe de professionnelle est rapidement réunie : Ronan, le mari réalisateur assure le cadrage de l’émission avec sa fille dans le porte-bébé, une graphiste élabore l’habillage, une autre conçoit le générique et pour finir la présentatrice-enseignante. Après quelques essais, l’équipe se jette à l’eau. Les parents des 26 élèves de la classe sont conviés par mail à suivre l’émission “La maitresse part en live”. “Personne ne s’attendait à une telle initiative mais tous les retours ont été enthousiastes, se souvient Marie-Solène Letoqueux. J’ai reçu beaucoup d’encouragements des parents, de mon directeur et de mes collègues.”
La première émission est diffusée le 23 mars, à 15 heures, en direct – pour s’épargner les longues heures de montage. Derrière leur écran, les élèves et leurs parents répondent présents : quelque 60 élèves participent au premier cours virtuel. “Je n’étais pas forcément très à l’aise dans les premières émissions, explique l’enseignante. Mais grâce aux retours des parents, j’ai progressé. J’ai gagné en théâtralité. J’ai aussi dû m’adapter aux nouvelles contraintes. J’ai notamment appris à laisser plus de temps aux élèves pour qu’ils réfléchissent et répondent, car il s’agissait avant tout de cours”.
Très vite, les jeunes internautes et leurs parents sont conquis. Le bouche-à-oreille et le relais sur les réseaux sociaux font des merveilles. Le rendez-vous initialement destiné aux maternelles de Luitré dépasse très vite le cadre de la Bretagne. “Nous avons eu des connexions du monde entier, notamment du Canada, de Nouvelle-Zélande, du Chili, du Japon, d’Afrique, du Moyen-Orient… Je ne m’attendais absolument pas à un tel retentissement”, s’étonne encore l’institutrice. Certaines émissions enregistrent des records d’audience avec plus de 9 600 connexions – soit près de 400 classes de maternelle. Quelque 13 000 parents échangent sur un serveur pour partager des photos, des vidéos et des impressions. “L’émission répondait à un besoin des parents qui se retrouvaient un peu démunis pendant cette période. D’autres étaient ravis d’être comme des petites souris pouvant observer le comportement de leur enfant en classe.”
La communauté s’organise
Face à l’ampleur de la tâche, un community manager est dépêché pour modérer les nombreux commentaires. Un petit groupe de parents prête main forte à l’équipe pour stocker les documents supports. Marie-Solène peut aussi compter sur le soutien de professeurs réunis sur Facebook dans le groupe “Enseigner à distance en maternelle” pour trouver de nouvelles idées. Car il s’agit de réaliser une heure de direct quatre jours par semaine. La trame de l’émission est immuable : un générique interprété par la maîtresse, le rituel de la date, de la météo puis celui des petits bonheurs avant de commencer des histoires, des chansons, des ateliers manuels, des cours de cuisine, etc… La recette fonctionne. “On ne s’ennuie pas du tout pendant l’émission”, promettent les paroles du générique. Les chiffrent en attestent. La chaîne recueille plus de 90 000 abonnés.
Mais bientôt, la fin du confinement sonne le glas de l’émission. Le 4 mai, la YouTubeuse à succès annonce son retour la semaine suivante en présentiel à la demande de son directeur. Mais c’est sans compter la mobilisation de ses milliers d’abonnés qui lancent une pétition considérant l’émission d'”intérêt public”. C’est finalement à la demande du recteur de l’académie de Rennes que l’enseignante a poursuivi l’aventure numérique jusqu’au 3 juillet. Les pétitionnaires ont gagné. Les enfants, encore privés d’école, aussi. Le conte de fée se poursuit encore quelques mois pour la maîtresse à la baguette magique.
“Une belle parenthèse”
L’initiative de Marie-Solène crée des émules. “D’autres professeurs se sont aussi lancés dans des projets similaires, c’est une bonne chose si j’ai pu en inspirer quelques-uns.” La trentenaire inspire aussi les médias. “J’ai enchaîné les interviews. Au début, je bafouillais, je n’étais pas à l’aise avec cet exercice.” On finit par la reconnaître dans la rue. “C’est assez amusant. Mais ce qui me plaît le plus dans toute cette histoire, c’est d’avoir vu toute cette entraide naître autour du projet. L’émission m’a également permis de progresser dans mon métier, d’apprendre de nouvelles pédagogies, de gagner en aisance avec les élèves.”
La rentrée suivante, l’enseignante a rangé les chapeaux de fées et les capes de super héroïne pour retrouver la classe de grande section de l’école privée de Saint Joseph de Bonabry, à Fougères. “Je me suis ainsi rapprochée de mon domicile et j’ai pu retrouver des élèves en chair et en os. Les voir en vrai, voir leur réaction, retrouver le bruit de la classe, tout cela me manquait, j’ai été très heureuse de les retrouver.”
L’aventure ne s’est pas arrêtée là. Marie-Solène Letoqueux a reçu les palmes académiques de l’Éducation nationale. Ironie de l’histoire, elle a même été élue Bretonne de l’année, lors des Victoires de la Bretagne. “C’est rigolo pour la Normande que je suis !”, confie dans un sourire la Caennaise d’origine. Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, l’enseignante s’est aussi vu proposer de nouveaux projets, comme l’écriture de manuels pour enfants. “J’ai vécu ce projet comme une belle parenthèse mais pour l’instant, je veux poursuivre mon travail d’enseignante. C’est une véritable vocation que je porte en moi depuis que je suis élève de troisième. Mais qui sait, je garde toutes ces propositions dans un coin de ma tête pour le jour où je ne supporterai plus les élèves, lâche-t-elle dans un rire. Mais ce moment n’est pas encore venu.”