Début juillet, un prêtre italien officiant à Fortaleza a été la cible de menaces pour avoir critiqué la gestion de la pandémie par le président Jair Bolsonaro. Depuis, les incidents se multiplient dans cette ville du nord-est du Brésil. Une habitante de Fortaleza, qui a manifesté pour défendre les ecclésiastiques, explique pourquoi elle s’est mobilisée.
Dans une homélie le 4 juillet, Lino Allegri, 82 ans, n’a pas hésité à critiquer la gestion de la pandémie de Covid-19 par le chef d’État brésilien. Ce prêtre officiant dans la paroisse Nossa Senhora da Paz à Fortaleza depuis le début des années 1990 a notamment jugé qu’à travers ses décisions, le président brésilien allait “contre la parole de Dieu”. Au Brésil, le virus est responsable de la mort de plus de 550 000 personnes.
Des mots qui n’ont pas plu à des sympathisants de Jair Bolsonaro : présents dans l’église, ils ont d’abord protesté à voix haute avant de sortir de l’édifice.
Mais l’incident n’en est pas resté là : à l’issue de cette messe du 4 juillet, plusieurs partisans du président sont revenus sur leurs pas pour perturber la fin de la cérémonie, et agresser le prêtre dans la sacristie. Un autre incident s’est produit dans une paroisse voisine le 11 juillet, après qu’un autre prêtre, Oliveira Braga Rodrigues, a soutenu le père Lino Allegri.
Sur cette vidéo filmée le 11 juillet, un homme identifié comme un ancien colonel de l’armée brésilienne s’oppose à un texte lu en soutien du père Lino Allegri. Les fidèles poussent l’homme, ainsi que d’autres partisans de Jair Bolsonaro, à sortir. Vidéo publiée par Jornalistas Livres sur Facebook.
Depuis, les deux hommes d’Église ont été reçus par la Défense publique, et le dispositif de sécurité a été renforcée autour des églises où ils officient. Le père Lino Allegri a déclaré ne plus célébrer la messe dans ces églises de Fortaleza depuis le 4 juillet mais qu’il était prêt à reprendre son activité rapidement.
“Prêtres communistes” et photo sans masque devant l’église
Mais les partisans de Jair Bolsonaro n’ont pas cessé leurs intimidations.
Dans cette vidéo publiée le 18 juillet et publiée sur ses réseaux sociaux, Ricardo Célio Chagas Bezerra, un colonel en exercice de l’armée brésilienne, se filme dans l’église de Fortaleza. Il affirme être venu clamer sa “répudiation au prosélytisme politique dans nos églises” et dit en avoir “assez [du] clergé progressiste”.
Lors de la messe, le même jour dans la même paroisse, des partisans de Jair Bolsonaro se sont pris en photo, la plupart sans masque, à l’entrée de l’église se targuant d’avoir “mis dehors les rouges”, en référence aux prêtres “communistes” – à l’origine, selon eux, des sermons contre le président brésilien.
Dans cette autre vidéo relayée le 19 juillet, un homme se filme à l’extérieur de l’église Nossa Senhora da Paz et affirme que des fidèles “exigent le retrait des prêtres communistes de la paroisse et n’acceptent pas non plus les discours communistes”, rhétorique souvent employée par Jair Bolsonaro lui-même pour désigner les personnes lui étant hostiles.
Dans cette vidéo relayée le 19 juillet et filmée à l’extérieur de l’église Nossa Senhora da Paz à Fortaleza, un homme explique que l’église doit être débarrassée des “prêtres communistes”.
“Agressé par des personnes qui se disent bonnes, charitables, religieuses”
Traductrice
Fortaleza
En réaction, des fidèles de l’Église catholique, mais aussi des personnes athées, se sont mobilisés pour apporter leur soutien aux prêtres attaqués. C’est le cas de Karoline Viante, catholique pratiquante et traductrice vivant à Fortaleza. Malgré la crainte liée au Covid-19, elle s’est rendue à une manifestation contre le président Jair Bolsonaro le 24 juillet, une manière de signifier son soutien à Lino Allegri :
Si je manifeste pour le père Lino, c’est pour la liberté de religion, la liberté d’expression, mais aussi par rapport au manque de respect de ces gens envers un vieil homme. Le Père Lino est un prêtre avec 40 ans d’expérience dans les communautés les plus pauvres et les plus violentes de Fortaleza. Or, il a été harcelé dans une paroisse située dans l’un des quartiers les plus riches par des personnes qui se disent “bonnes”, charitables, religieuses.
Ces incidents ne se produisent peut-être pas de manière délibérément orchestrée, mais il existe un climat favorable lié à la montée de l’extrême-droite, ancrée dans les fake news, les programmes policiers, la banalisation de la violence, l’incrédulité en la politique.
Photos prises par Karoline à la marche de Fortaleza contre le président brésilien le 24 juillet.
Dans leurs messages sur les réseaux sociaux, les partisans de Jair Bolsonaro s’attaquent particulièrement aux théologiens de la Libération, courant de pensée né en Amérique latine, après le Concile Vatican II et la Conférence de Medellín, auquel se rattache le prêtre Lino Allegri.
Ce courant part du postulat que l’Évangile exige une préférence pour les pauvres et précise que la théologie doit aussi utiliser les sciences humaines et sociales pour parvenir à ses fins en termes de libération de conditions économiques, politiques ou sociales injustes.
Karoline Viante, elle-même partisane de ce courant, explique pourquoi Lino Allegri est la cible des Bolsonaristes.
Nous avons vu que les partisans du président n’acceptent pas d’argumenter, de se remettre en question. Ils réagissent toujours de manière violente et agressive face à ceux qui questionnent leur position.
Ce n’est pas la première fois que l’Église catholique s’oppose à Jair Bolsonaro : en août 2020, 152 évêques avaient signé un manifeste contre le gouvernement brésilien, “inapte” selon eux à faire face à la crise du Covid-19 que traverse le pays.