Des affrontements ont opposé, lundi 26 juillet au matin, des partisans du parti islamo-conservateur Ennahdha et ceux du président tunisien Kais Saïed, au lendemain de l’annonce par celui-ci du gel des activités de l’assemblée nationale et du limogeage du chef du gouvernement. Sur place, nos Observateurs décrivent une situation particulièrement tendue aux abords de l’Assemblée nationale.
Il a également annoncé la levée de l’immunité des parlementaires et le gel pendant un mois des activités de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), dont le Président est le chef du mouvement islamo-conservateur Ennahdha, Rached Ghannouchi. Enfin, Kaïs Saïed a annoncé prendre la tête du pouvoir exécutif. Les locaux du gouvernement à Tunis ont été fermés aux fonctionnaires ce lundi.
Des sympathisants du parti islamo-conservateur Ennahdha, principale formation de l’Assemblée nationale avec 54 sièges, et qui comptait des ministres au gouvernement, se sont rassemblés devant le Parlement ce lundi 26 juillet à l’aube. Ils ont vite été rejoints par les partisans de la décision du chef de l’Etat Les deux camps ont échangé insultes et jets de projectiles.
Ils étaient séparés par un cordon d’éléments des forces de l’ordre qui s’efforçait de les contenir, comme le montre la vidéo ci-dessous. A la sixième minute, des sympathisants d’Ennahdha reprennent un slogan utilisé par le mouvement des Frères musulmans en Egypte contre la prise du pouvoir par l’armée en 2013 : “A bas le régime militaire !”.
Vidéo tournée lundi 26 juillet devant le siège du Parlement à Tunis, montrant pro et anti Ennahdha s’invectiver.
La vidéo ci-dessous montre des manifestants pro-Ennahdha tenter de pénétrer de force dans l’enceinte du Parlement. Plusieurs sympathisants d’Ennahdha ont été blessés, selon Zied Hosni, journaliste pour la radio Shems FM.
Cette vidéo montre des sympathisants du parti Ennahdha tenter d’envahir le siège du Parlement, le lundi 26 juillet.
“Pratiquement tous les blessés sont des partisans d’Ennahdha”
Zied Hosni, journaliste pour la radio locale Shems FM, se trouvait devant le siège du Parlement depuis les premières heures du matin.
Vers 6 heures du matin, et alors que Rached Ghannouchi était encore sur les lieux, des sympathisants d’Ennahdha ont afflué vers le siège du Parlement pour le soutenir. Des partisans du Président Kaïs Saïed sont aussi arrivés. Ils se sont rassemblés devant le portail extérieur de l’Assemblée.
Au début, les forces de l’ordre dirigeaient les partisans du président Kaïs Saïed vers un autre endroit aux alentours de l’Assemblée, afin d’éviter tout accrochage. Mais certains sont parvenus à passer à travers le maillage policier et à s’approcher des pro-Ennahdha pour en découdre.
Deux heures plus tard, les sympathisants des deux camps ont commencé à s’invectiver. Ce sont des partisans du Président qui ont commencé à jeter des pierres et des bouteilles aux pro-Ennahdha. Ces derniers ont, à leur tour, riposté. Les partisans du Président visaient surtout les députés d’Ennahdha.
Pratiquement tous les blessés sont des partisans d’Ennahdha, car ils ont été violemment attaqués à coups de pierres par des jeunes, dont on suppose qu’ils sont des supporters du président. Dans les rues adjacentes, il y a eu également des échauffourées. Il y a eu en tout une dizaine de blessés légers.
Rached Ghannouchi, le Président du Parlement s’était en effet rendu devant le siège du Parlement dès 2h30 du matin, lundi. Accompagné de la vice-présidente du Parlement Samira Chaouachi (du parti allié Qalb Tounes) et d’autres parlementaires, il s’est vu refuser l’entrée par des éléments de l’armée postés derrière les grilles.
Sur ces images, on le voit descendre de son véhicule puis se diriger vers le portail. Quand la vice-présidente demande à un militaire d’ouvrir la porte, celui-ci rétorque (à 10’33”) : “Nous avons reçu des consignes […] Le Parlement est fermé”.
Vidéo montrant le Président et la première Vice-présidente du Parlement, Rached Ghannouchi et Samira Chaouachi, se faire refuser l’accès à l’institution par des militaires, aux premières heures du lundi 26 juillet.
Vers 13 h 30, il a quitté les lieux selon Zied Hosni.
#tunisia Parliament met today via zoom. It condemns the president “announcements”, calls for the army to be on the side of the people, states that the parliament will stay in session, and invite the population to defend democracy. pic.twitter.com/pk5hMNKnJX
— Zied Mhirsi (@zizoo) July 26, 2021
Des membres du parlement tunisien, dont son président Rached Ghannouchi, ont tenu une session en ligne ce lundi 26 juillet en protestation au gel des activités de l’Assemblée nationale.
Dès le soir du 25 juillet, quelques minutes après l’annonce de Kaïs Saïed, des milliers de Tunisiens avaient gagné les rues du pays pour célébrer la décision du président, bravant le couvre-feu en vigueur pour lutter contre la propagation du Covid-19 qui ravage le pays.
Crowds cheering, honking, youyous – reactions to the Tunisian president’s decision to freeze Parliament and fire & take over from the prime minister pic.twitter.com/cmdGwB97MV
— Layli Foroudi (@laylimay) July 25, 2021
Scènes de liesse dans le quartier d’El Mourouj, dans le sud de Tunis, le soir du 25 juillet.
“Les voitures de police ont rejoint le concert de klaxons ! Une scène irréelle”
Ghaya Ben M’barek est une journaliste basée à Tunis, pour le média tunisien Meshkal :
Peu après l’annonce du président, vers 21h30, on entendait des acclamations et des feux d’artifice de la rue malgré le couvre-feu. Même si les détails de l’annonce de Kaïs Saïd n’étaient pas très clairs, les gens étaient contents d’apprendre que le parti Ennahdha a été écarté [de l’Assemblée]. Tout le monde klaxonnait et scandait des slogans soutenant Kaïs Saïed et insultant Rached Ghannouchi. Sur l’Avenue Habib Bourguiba [en plein centre-ville de Tunis, NDLR], il n’y avait presque pas de présence sécuritaire : même les barrages habituellement placés au niveau du ministère de l’Intérieur étaient levés, à notre grande surprise. Les voitures de police ont rejoint le concert de klaxons ! Une scène irréelle : le matin même ces mêmes policiers tapaient sur les manifestants anti-gouvernement au Bardo [devant le parlement]!”
Des policiers célèbrent l’annonce de Kaïs Saïed à la Soukra, dans le nord de Tunis.
Vers 23h, trois chars militaires ont gagné l’avenue Habib Bourguiba, acclamés par les manifestants. C’est à peu près vers minuit que la foule a commencé à se diriger vers le siège national du parti Ennahdha, situé à Montplaisir (à 2,2 km du centre-ville). Le but était d’investir les locaux du parti [dans la journée, plusieurs manifestants ont saccagé des locaux de branches régionales du parti, NDLR].
Un local régional d’Ennahdha investi et saccagé par des manifestants anti-gouvernement, à Tozeur (sud-ouest), le 25 juillet.
En me rendant sur place, j’ai croisé des véhicules sécuritaires. Les manifestants ont jeté des pierres sur le bâtiment. D’autres ont tenté d’entrer par des petites ruelles adjacentes à l’entrée principale du bâtiment. Le siège du parti était encerclé par des policiers qui ont ensuite bombardé la foule de gaz lacrymogène et pourchassaient les manifestants. Cela a duré jusqu’à environ 1h30 du matin lorsque une majeure partie de la foule s’est dispersée. Je n’ai vu aucun partisan d’Ennahdha au niveau du siège en quittant les lieux.
Des tirs de gaz lacrymogène devant le siège du parti Ennahdha à Tunis le soir du 25 juillet. Vidéo Ghaya Ben M’barek.
Une crise politique qui dure depuis des mois
Depuis plusieurs mois, les dirigeants du pays ne parviennent pas à installer un gouvernement stable. Sur fond de crise économique, sanitaire et sociale aigue, trois dirigeants s’affrontent sans pour autant collaborer : le président de la République Kaïs Saïed d’un côté, le premier ministre désormais limogé Hichem Mechichi et le président de l’assemblée Rached Ghannouchi, à majorité islamiste, de l’autre.