Christian Emmanuel Sanon, un ressortissant haïtien ayant vécu de nombreuses années en Floride, est soupçonné d’être l’un des instigateurs de l’opération commando ayant coûté la vie au président Jovenel Moïse. L’homme de 63 ans se présente comme médecin et pasteur.
C’est un scénario digne d’un obscur polar qui se dessine autour de l’assassinat du président haïtien Jovenel Moïse. Dimanche, les autorités ont annoncé avoir arrêté l’un des instigateurs présumés de l’opération : Christian Emmanuel Sanon, un ressortissant âgé de 63 ans.
Ce dernier est soupçonné d’avoir commandité l’opération durant laquelle le président a été exécuté, le 7 juillet en pleine nuit, dans sa résidence, par un commando composé de deux haïtiens américains et de 26 anciens militaires colombiens – trois ont été tués par la police, 18 arrêtés et cinq seraient toujours en fuite. Selon les derniers éléments de l’enquête, révélés dimanche 10 juillet, le projet initial de Christian Emmanuel Sanon n’était pas l’exécution de Jovenel Moïse, mais son arrestation, afin de prendre sa place.
Ambition politique
Christian Emmanuel Sanon est né en 1958 dans la commune de Marigot, dans le sud-est du pays. Il est revenu en Haïti au mois de juin, selon la police, après avoir vécu de nombreuses années en Floride. Sur son compte Twitter, l’homme se présente comme un docteur en médecine et un pasteur chrétien qui apporte “un leadership pour Haïti à travers une vie d’action positive et d’intégrité absolue”. Dans une vidéo aux allures de spot de campagne, postée sur son compte YouTube en 2011, Christian Emmanuel Sanon fustige la corruption des élites haïtiennes, l’emprise de la communauté internationale sur le pays et affirme sa volonté d’incarner l’alternative politique dont le peuple a besoin. “70 % de la population haïtienne a moins de 30 ans. Ils sont jeunes, ils veulent travailler et ils attendent une personne qui viendra créer ces emplois pour qu’ils puissent vivre de leur travail. C’est ce que je souhaite leur amener” déclarait-il alors, l’air grave.
Un passé trouble
Christian Emmanuel Sanon se voyait donc en futur président réformateur d’un pays en ruine. Mais ce qui s’apparentait à un début de campagne politique, il y a 10 ans, restera sans suite. L’homme cesse d’alimenter ses réseaux et ne publiera plus de vidéos. Confronté à de sérieux problèmes financiers, Christian Emmanuel Sanon aurait pu être contraint d’abandonner temporairement ses grands projets car selon le Miami Herald, il s’est déclaré en situation de faillite en 2013 à Tampa, en Floride. Endetté, il aurait alors perdu sa maison et déménagé plusieurs fois. Son parcours professionnel aux États-Unis est pour le moins trouble : il possède plusieurs entreprises déclarées à son nom dont la plupart son inactives et, toujours selon les journalistes du Miami Herald, ne détient pas de licence médicale en Floride, bien qu’il se présente comme docteur.
Christian Emmanuel Sanon a également été co-directeur d’une organisation humanitaire du nom de “Rome Haïti”, basée en Floride. Créée peu de temps avant le terrible tremblement de terre ayant coûté la vie à plus de 300 000 personnes en 2010, l’ONG serait parvenue à récolter et envoyer près de 100 000 euros de matériel en trois mois, pour venir en aide aux victimes, ainsi qu’une soixantaine de docteurs et d’infirmiers, selon la chaîne de télévision américaine Bay News 9, qui lui consacre alors plusieurs reportages.
Multiples zones d’ombre
D’après l’enquête policière, Christian Emmanuel Sanon est arrivé en Haïti début juin à bord d’un avion privé accompagné d’agents de sécurité colombiens, engagés pour assurer sa protection. “La mission a ensuite changé”, a déclaré, dimanche, le directeur de la police nationale, Léon Charles, lors de l’exposé des derniers éléments, expliquant qu’un plan avait été échafaudé pour procéder à l’arrestation du président. “L’opération a été montée à partir de là : 22 autres individus sont alors entrés en Haïti” a-t-il ajouté.
Les interrogatoires de police auprès des 18 citoyens colombiens arrêtés ont révélé que Christian Emmanuel Sanon avait recruté les 26 membres du commando via les services d’une compagnie vénézuélienne de sécurité nommée CTU, basée en Floride, indiquent les autorités. Depuis l’assassinat, il aurait été en contact avec plusieurs personnes impliquées dans l’opération, dont l’un des assaillants. La police a par ailleurs annoncé avoir découvert plusieurs indices, lors de la perquisition à son domicile, dont des cartouches et des pièces détachées d’armes à feu.
Si tout semble aujourd’hui accuser Christian Emmanuel Sanon, de nombreuses zones d’ombre persistent néanmoins quant à son degré d’implication. Comment ce dernier, ruiné dix ans auparavant, a-t-il pu financer une opération d’une telle envergure ? Pourquoi le président a-t-il été sommairement exécuté et non arrêté, comme le prévoyait le plan initial selon certains des protagonistes ? Le directeur de la police a, de son côté, annoncé qu’outre l’investigation criminelle pour identifier les responsabilités, une enquête devait également faire la lumière sur d’éventuelles complicités au sein de la police, qui auraient permis au commando d’agir sans entrave.