La question de la migration, suspendue pendant le confinement, revient sur le devant de la scène, avec le chiffre record de 82,4 millions de déplacés et réfugiés à travers le monde. L’UE prend-elle sa juste part, alors que le Pacte global pour la migration de la Commission européenne est toujours bloqué par les pays de l’Est ? Nous en parlons avec Filippo Grandi, le Haut-Commissaire aux réfugiés de l’ONU, qui déplore le sur-place de ce pacte qui ne parvient pas à emporter l’adhésion des 27.
Avec la pandémie, la circulation des flux migratoires en Méditerranée orientale s’est réduite, mais a fortement augmenté en Méditerranée centrale et en Europe de l’est, des Balkans à la Lituanie.
Durant les cinq premiers mois de 2021, on a dénombré 47 100 franchissements illégaux aux frontières extérieures de l’Union, selon l’agence Frontex, soit près du double de la période équivalente de 2020.
Filippo Grandi “déplore” cependant que les 27 n’arrivent pas s’entendre sur une politique migratoire européenne et entend “travailler pour essayer d’arriver à un consensus”.
Il convient que “la pandémie n’a pas simplifié les choses, mais il faut se pencher sur cette solution, parce que sans solution, on va continuer à voir des drames humains et politiques aux frontières de l’Europe”.
Estimant que l’initiative du pacte global pour la migration de la Commission est une “proposition bonne, mais pas parfaite”, il accueille avec enthousiasme l’Agence de l’Union européenne pour l’asile, car “tout ce que l’Europe fait de manière concertée et cohérente est positif.”
Il “espère que l’Europe va modérer certaines attitudes” de contrôle aux frontières, redoutant “des renvois de personnes, parfois de manière brutale, aux frontières externes de l’Europe vers les pays en dehors de l’Europe”.
Il regrette par ailleurs l’attitude des pays de l’est de l’Europe, qui manifestent un “refus de participer à la solidarité européenne qui est négatif”.
Alors que la Grèce érige des murs de béton autour des centre d’accueil sur son territoire, le Haut-Commissaire aux réfugiés de l’ONU tient d’abord à souligner que le pays “est une des portes d’entrée” de l’Union européenne et qu’il a accueilli, et fait passer, “beaucoup de réfugiés dans les 5 dernières années”.
Il rappelle toutefois que “toute forme de détention, de limitation de liberté des demandeurs d’asile doit être temporaire, sinon elle viole des principes fondamentaux”. Il regrette par ailleurs que l’Europe n’ait “pas eu beaucoup de succès dans sa politique de relocalisation”. Il reconnaît que “la France a fait beaucoup dans ce domaine, et quelques autres pays ont fait des gestes”. “Mais il faut faire plus, il faut partager ce fardeau, cette responsabilité”, insiste-t-il.
Il craint qu’avec le retrait des troupes internationales d’Afghanistan et notamment américaines en septembre, la situation se dégrade dans le pays, donnant lieu à des “des flux qui vont bouger vers l’Ouest et peut-être même jusqu’à l’Europe”, ajoutant qu’il “faut être mieux préparés pour cette éventualité”. Ces flux passeront par la Turquie, qui, en 2020, et pour la septième année consécutive, accueillait la plus importante population de réfugiés au monde (3,7 millions), soit 15 % de l’ensemble des personnes déplacées. Il considère donc qu’il est “légitime et juste” que l’Union européenne aide la Turquie, dans le cadre de l’accord bilatéral signé en 2016.
Une loi au Danemark stipule que tout demandeur d’asile au Danemark sera, une fois sa demande enregistrée et à quelques rares exceptions près, envoyé dans un centre d’accueil en dehors de l’Union européenne. Filippo Grandi s’inquiète de cette loi qu’il considère comme “vraiment dangereuse pour le principe de l’asile”, ajoutant que cela va à l’encontre des principes fondateurs de l’UNHCR. “Externaliser l’asile va le tuer”, conclue-t-il.
Émission préparée par Isabelle Romero, Céline Schmitt, Perrine Desplats et Mathilde Bénézet