Il l’artisan en chef de l’élimination des Bleus en huitième de finale de l’Euro-2021. Le sélectionneur Vladimir Petkovic a écrit avec ses hommes la plus belle page de l’histoire du football suisse. Portrait d’un technicien qui n’a jamais fait l’unanimité dans son pays, à moins peut-être de s’offrir un nouvel exploit contre l’Espagne, vendredi 2 juillet.
Nom : Vladimir Petkovic. Profession : sélectionneur de l’équipe de Suisse. Fait d’armes : a qualifié les Helvètes en quart de finale de l’Euro-2021, une première dans une grande compétition depuis le Mondial organisé à domicile en 1954. Signe particulier : sa stratégie et son coaching gagnant sont à l’origine de l’élimination surprise des Bleus en huitièmes.
L’architecte de la victoire historique des Suisses contre la France à Bucarest, là aussi une première dans une compétition internationale, a fait passer un cap à une sélection qui se heurtait à un “plafond de verre” qui l’empêchait jusque-là de remporter le moindre match à élimination directe dans les grands tournois. Sous ses ordres, la Suisse avait été éliminé en huitième de finale de l’Euro-2016 par la Pologne, aux tirs au but, et par la Suède (1-0), en huitième de finale du Mondial-2018.
“C’est difficile de trouver les mots, je peux seulement dire merci à toute cette équipe et être reconnaissant envers le coach qui a amélioré l’équipe à chaque tournoi”. Tout est dit dans cet hommage signé Granit Xhaka, milieu relayeur et capitaine de la Suisse, et surtout homme de confiance et pilier du système Petkovic. Signe de la force de leur relation, après le tir au but raté de Kylian Mbappé, le joueur d’Arsenal a immédiatement traversé tout le terrain pour se jeter dans les bras de son entraîneur.
Lorsqu’il avait succédé à la légende Otmar Hitzfeld, le 2 juillet 2014, peu de Suisses auraient parié que Vladimir Petkovic resterait suffisamment longtemps en poste au point de battre, vendredi 2 juillet, à l’occasion du quart de finale de l’Euro contre l’Espagne, le record de matchs dirigés à la tête de la Nati (77).
En plus d’être un modèle de longévité au pays des horlogers, et de régularité puisqu’il a toujours qualifié sa sélection pour les grandes compétitions et l’a sortie des phases de groupe, Vladimir Petkovic a apporté ambition, rigueur et confiance. Quel que soit l’adversaire, il refuse de croire la partie perdue d’avance, et prône un jeu tourné vers l’offensive et un pressing haut.
“J’ai toujours voulu produire un football globalement offensif, avec un comportement défensif basé sur l’anticipation et les placements préventifs, et l’ambition de récupérer le ballon haut dans le terrain”, confiait-il, l’été dernier, au quotidien suisse Le Temps.
Vladimir Petkovic veut “bien jouer” tout en misant énormément sur la solidarité, le mental de ses joueurs et leur envie de franchir, collectivement, un nouveau palier. “Nous connaissons nos points forts. Contre la France si on donne 100 % et eux 100 %, ça ne suffira pas, alors il faut dépasser nos limites, être à 120 % et espérer que la France sera quelques points en-dessous de 100 %…”, avait-il expliqué avant d’affronter les champions du monde 2018.
Le plus bel exploit du football helvète
Déjouant tous les pronostics pour réaliser le plus bel exploit du football helvète, ses joueurs ont eu la folle idée de l’écouter et de croire en leur chance, même en étant mené 3 buts à 1 à dix minutes de la fin du match. Loin de rendre les armes, Vladimir Petkovic, qui s’appuie depuis plusieurs années sur un groupe de joueurs fidèles (Granit Xhaka, Xherdan Shaqiri, Haris Seferovic), dont la plupart évoluent en Bundesliga (11), lance des hommes frais qui se montreront déterminants dans le dernier quart d’heure.
Précisément le latéral Kevin Mbabu, auteur de la passe décisive sur le deuxième but suisse à la 81e, et l’attaquant Mario Gavranovic qui a signé le but égalisateur à la 90e minute.
“On a atteint un nouveau niveau, maintenant je vais exiger de l’équipe de montrer chaque fois le même !”, a indiqué à l’issue de la partie le sélectionneur réputé pour son exigence.
Né à Sarajevo au sein d’une famille croate de Bosnie et naturalisé suisse en 2003, il a accompli l’essentiel de sa carrière de joueur et d’entraîneur dans son pays d’accueil, avec des passages à l’étranger sur le banc de Samsunspor en Turquie et à la Lazio Rome, pensionnaire de Serie A avec lequel il remporte une Coupe d’Italie contre l’AS Rome, le grand rival, en mai 2014.
Alors que son contrat avec la Nati court jusqu’à décembre 2022, après le Mondial au Qatar, le technicien de 57 ans n’a pas toujours fait l’unanimité en Suisse. Loin de là. Car malgré des résultats plus qu’honorables avec la sélection, il reste mal aimé.
“Petkovic (…) a réussi ce que personne n’avait fait encore avant lui à son poste : deux qualifications consécutives pour des huitièmes de finale, à l’Euro-2016 et au Mondial-2018. Et pourtant, rien ne lui est pardonné. Toujours ce doute sur ses capacités”, déplorait le journal 24 heures, en 2018.
Les médias locaux lui reprochent notamment sa froideur, lui qui en impose physiquement avec son 1,90 mètre et ses yeux bleu acier, et sa méthode de communication jugée défiante. Voire son absence de communication, puisqu’il avait refusé de venir s’expliquer au lendemain de l’élimination contre la Suède au Mondial-2018.
Quelques années plus tôt, peu après avoir été désigné sélectionneur national, le quotidien de langue allemande Blick avait vertement critiqué sa décision de s’exprimer prioritairement en italien devant la presse. Une langue parlée par moins de 10 % de la population du pays, mais qu’affectionne “Vlado” qui habite dans le Tessin, où il avait exercé, en parallèle du football, le métier de travailleur social chez Caritas dans les années 1990.
Lettre ouverte à la nation
Alors que cet Euro paraissait mal engagé pour ses hommes après un nul décevant face au Pays de Galles en ouverture (1-1), une cinglante défaite contre l’Italie (3-0), la pression est montée d’un cran autour du sélectionneur, sans compter de nouvelles polémiques sur un coiffeur convoqué par certains joueurs dans la bulle sanitaire et un hymne national non chanté par les binationaux avant les matches.
C’est alors que Vladimir Petkovic décide d’écrire une lettre ouverte à la nation l’appelant à l’union sacrée avant le match décisif contre la Turquie, finalement remporté haut la main par les Suisses (3-1). “Nous avons besoin de votre soutien à tous avant ce match crucial. De votre solidarité. De votre positivité. Nous ferons tout notre possible pour que nous puissions tous être heureux ensemble dimanche soir. Que nous puissions être fiers ensemble. De notre équipe nationale et de notre Suisse !”.
Un message moqué et attaqué dès le lendemain dans la presse. “Étonnant ce besoin théorique de proclamer le rassemblement derrière notre équipe nationale alors que dans les faits, tout vous éloigne de cette base populaire dont vous aimez pourtant vous réclamer”, assène dans une missive au vitriol Nicolas Jacquier, du journal Le Matin.
Après la victoire historique contre les Bleus, Vladimir Petkovic ne s’est pas montré revanchard. Il a même légèrement fendu l’armure, en conférence de presse, en acceptant de parler de lui. “Je pense que c’est l’un des plus grands matches de ma carrière, l’un des plus importants, a-t-il confié. On a aussi joué d’autres matches importants avec la sélection, mais celui-là a une importance spéciale”.
À la Nati de lui offrir de nouvelles émotions et un nouvel exploit contre l’Espagne, vendredi à Saint-Pétersbourg.