Après avoir s’être invitée dans l’Euro-2021, et après que plusieurs États européens ont demandé une réaction de la Commission européenne, la polémique autour du projet de loi hongrois sera discutée lors du sommet de l’UE, jeudi et vendredi. Mais face à la politique ultra-conservatrice de Viktor Orbán, que peuvent les institutions européennes ?
Avec sa loi, la Hongrie n’a “plus rien à faire dans l’Union européenne (UE)”, a estimé, jeudi 24 juin, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte à son arrivée à un sommet des 27 pays de l’UE à Bruxelles.
Dix jours après l’adoption par le Parlement hongrois d’un projet de loi visant à interdire la “promotion” de l’homosexualité auprès des mineurs, le président du Conseil européen, Charles Michel, a inscrit le sujet à l’ordre du jour du sommet des Vingt-Sept, jeudi 24 et vendredi 25 juin.
Dénoncée par une majorité des pays de l’Union européenne, qui jugent ses dispositions discriminatoires pour les personnes homosexuelles et transgenres, cette loi – qui doit entrer en vigueur le 1er juillet – a conduit 17 pays européens (dont la France) à cosigner, mardi, une déclaration pour la dénoncer et appeler la Commission européenne à réagir à cette nouvelle politique sortie du chapeau du Fidesz, le parti populiste du Premier ministre hongrois, Viktor Orbán.
Mercredi, la présidente de l’exécutif européen, Ursula von der Leyen, a qualifié cette loi de “honte”, provoquant la colère de Budapest et de la ministre hongroise de la Justice, Judit Varga, qui invoque le “droit de défendre nos familles et d’éduquer nos enfants, un droit souverain dans lequel il n’y a pas de compétences concurrentes de l’UE”.
Que peuvent donc faire les chefs d’États de l’UE ? Comme l’explique Tania Racho, docteure en droit européen, contactée par France 24, le rôle du Conseil européen est simplement d’insuffler les orientations de l’UE. “C’est intéressant de se dire que le sujet est saisi par le Conseil européen, mais au mieux cela aboutira à quelques lignes pour réaffirmer les valeurs de l’UE : il ne peut pas y avoir de suites juridiques immédiates”. Qui plus est, précise la spécialiste des questions relatives aux droits fondamentaux, l’UE n’a pas de compétences en matière des droits de l’Homme.
“Examiner la loi et voir si et comment elle enfreint le droit européen”
Interdiction de la promotion de l’homosexualité ou du changement de sexe auprès des mineurs, interdiction des programmes éducatifs ou des publicités représentant des couples homosexuels (à l’instar de la campagne Coca-Cola qui avait suscité des appels au boycott en 2019)… Des films et séries dans lesquels l’homosexualité est évoquée pourraient également être interdits aux mineurs, s’alarment les ONG.
C’est donc bien de droits humains dont il s’agit. D’autant que le projet de loi en question est en fait une série d’amendements déposés par les députés conservateurs du Fidesz, dans le cadre d’un arsenal de mesures prises contre la pédophilie. “Appliquer ces amendements à un projet de loi visant à lutter contre la maltraitance des enfants semble être une tentative délibérée du gouvernement hongrois de confondre pédophilie et personnes LGBTI”, a notamment réagi David Vig, le directeur d’Amnesty International Hongrie, évoquant une législation qui “stigmatisera davantage les personnes LGBTI” et “exposera les personnes déjà confrontées à un environnement hostile à une discrimination encore plus grande”.
C’est cette hostilité que dénoncent aujourd’hui une grande partie des dirigeants européens. Benelux, France, Allemagne, Espagne, Irlande, Autriche, Italie, Grèce, pays Baltes et scandinaves… Ces derniers expriment leur “profonde inquiétude” face à la nouvelle loi votée mi-juin, et attendent une réaction de la Commission européenne. À la différence du Conseil européen, celle-ci “pourrait entamer une procédure de manquement contre la Hongrie”, explique Tania Racho.
“Nous sommes en train d’examiner la loi et de voir si et comment elle enfreint le droit européen”, a déclaré mardi la vice-présidente de la Commission européenne, Vera Jourova. En effet, la Commission a le pouvoir de déclencher des procédures d’infraction pour violation du droit de l’UE contre un pays, pouvant mener à une saisine de la Cour de justice européenne. “Elle pourrait entamer un dialogue politique avec la Hongrie, pouvant amener, en cas de non-réaction de l’État, jusque devant la Cour de justice de l’Union européenne”, ajoute Tania Racho, qui évoque alors la possibilité de sanctions.
Toutefois, le problème qui se pose reste de trouver sur quoi se fonder pour affirmer que la Hongrie viole le droit de l’Union européenne. Néanmoins, affirme l’universitaire, “la Commission européenne peut-être inventive et pourrait par exemple trouver une accroche sur la non-discrimination.”
La Cour européenne des droits de l’Homme, “plus efficace”
“Si l’on veut être plus efficace, c’est la Cour européenne des droits de l’Homme (la CEDH, une juridiction du Conseil de l’Europe, NDLR) qui pourrait être utile”, ajoute la juriste, membre du collectif d’universitaires “Les Surligneurs”, un projet de fact-checking juridique consistant à vérifier la conformité au droit de la parole politique.
“D’ailleurs, les États qui s’opposent à la Hongrie peuvent eux-mêmes saisir la CEDH”, poursuit-elle, concédant toutefois que cela puisse être délicat d’un point de vue diplomatique. “On n’est pas obligé d’attendre que quelqu’un soit condamné en Hongrie [suite à l’application de cette loi] pour s’être exprimé auprès de mineurs sur les questions LGBT, avant de pouvoir saisir la CEDH.” Ici, la juridiction internationale pourrait notamment être saisie sur le fondement de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, lequel protège la liberté d’expression et “qui semble être violé par cette loi hongroise qui interdit de s’exprimer sur des questions LGBT auprès de mineurs”.
Cet “environnement hostile”, terreau des discriminations à l’encontre de la communauté LGBTI évoqué par le directeur d’Amnesty International Hongrie, est entretenu par Viktor Orbán depuis son arrivée au pouvoir, en 2010, à travers de multiples réformes empêchant l’avancée de leurs droits pour, selon lui, préserver les valeurs chrétiennes traditionnelles. Dernier exemple en date : la Constitution hongroise, qualifiée par Human Rights Watch de “discriminatoire envers les personnes LGBT”, a été amendée pour la neuvième fois en décembre dernier pour qu’y figure la disposition selon laquelle “la mère est une femme, le père est un homme”.