Plusieurs pays qui ont mené des campagnes de vaccination de grande ampleur en utilisant les vaccins chinois sont actuellement confrontés à un regain du nombre de contaminations. Pour certains, c’est la preuve que les molécules mises au point en Chine sont moins efficaces que ce qu’on pouvait croire. Pour d’autres, la situation sur le terrain est plus complexe.
C’est l’une des énigmes épistémologiques du moment. Le Chili, le Bahreïn, la Mongolie ou encore les Seychelles font partie des très bons élèves de la vaccination avec plus de 50 % de leur population ayant déjà reçu deux doses. C’est bien mieux qu’aux États-Unis, en France ou encore en Allemagne. Et pourtant, leurs efforts ne sont pas récompensés, puisque ces pays connaissent d’importants foyers de nouveaux cas de contaminations au Covid-19, parfois même chez des individus vaccinés à 100 %.
Ces quatre nations ont un autre trait en commun : elles appartiennent à la grande famille des pays qui ont misé tout, ou presque, sur les vaccins chinois. Pour certains, il ne faut pas aller chercher beaucoup plus loin l’explication de l’apparent paradoxe chilien, mongol ou encore des Seychelles. “Si les vaccins étaient suffisamment bons, on ne devrait pas voir ce genre de phénomène”, affirme Jin Dongyan, un virologiste hongkongais, interrogé par le New York Times, qui a publié une longue enquête sur les vaccins chinois, mardi 23 juin.
Dur rappel à la réalité
C’est loin d’être la première fois que Sinopharm et Sinovac, les deux principaux laboratoires chinois engagés dans la course vaccinale, font l’objet de critiques. Il leur a été reproché de ne pas être suffisamment transparents dans la publication des résultats scientifiques de leurs vaccins, et de ne pas avoir mené d’essais de phase III – où des milliers de volontaires sont vaccinés – avant d’avoir obtenu l’autorisation de mise sur le marché par les autorités chinoises.
Contrairement à Pfizer, Moderna ou AstraZeneca, Sinopharm et Sinovac n’ont pas non plus mené d’étude de grande ampleur après avoir commencé à commercialiser leurs vaccins pour réévaluer leur efficacité, rappelle le site spécialisé dans les questions de santé Health Policy Watch.
Les mésaventures du Chili, du Bahreïn ou encore de la Mongolie fournissent une nouvelle munition aux détracteurs des vaccins chinois. Elles prouveraient qu’en condition réelle “les vaccins chinois ne sont pas très efficaces pour ralentir la propagation du virus”, écrit le New York Times.
L’Indonésie en a fourni l’un des exemples les plus marquants. Plus de 350 professionnels de la santé ayant reçu les deux doses de Sinovac ont été contaminés avec le virus Sars-CoV-2 à la mi-juin, souligne Health Policy Watch. Aux Seychelles, un tiers des nouveaux cas de Covid-19 enregistrés début mai concernait des individus ayant eu leurs deux doses de la molécule de Sinopharm, souligne la chaîne britannique BBC.
Un dur rappel à la réalité pour les plus de 80 pays qui ont succombé aux sirènes de la diplomatie vaccinale chinoise, note le New York Times. “Ils risquent, avec la Chine, de se retrouver dans le groupe des pays dont la population a été pleinement vaccinée, mais qui n’est que partiellement protégée”, estime le quotidien nord-américain.
C’est un problème particulièrement épineux pour les pays d’Amérique latine qui, après avoir vécu un début d’année 2021 particulièrement éprouvant sur le front de l’épidémie, espéraient sortir la tête de l’eau grâce à Sinovac et Sinopharm. Le Chili, mais aussi le Mexique et le Brésil, sont parmi les plus importants acheteurs au monde de plus de 750 millions de doses de vaccins chinois vendues dans le monde, note le site Health Policy Watch.
Les vaccins chinois, bouc émissaire trop évident ?
Mais tirer ainsi sur l’ambulance chinoise peut sembler un peu facile. D’abord, parce que les cas de réinfection après vaccination ne sont pas si surprenants que ça. “Les vaccins chinois sont fondés sur la technologie traditionnelle de développement des vaccins, comme ceux, par exemple, contre la polio dont on sait aujourd’hui qu’ils sont moins efficaces que ceux qui utilisent la technologie plus innovante de l’ARN messager, comme les solutions de Pfizer ou Moderna”, souligne Pierre Saliou, professeur agrégé du Val-de-Grâce et spécialiste des questions de vaccination, contacté par France 24.
Les tests effectués, aussi bien en laboratoire que sur des sujets humains, démontraient que les molécules de Sinopharm ou Sinovac avaient une efficacité comprise entre 50 % et 70 %. C’est loin des pourcentages impressionnants de Pfizer, Moderna ou AstraZeneca (plus de 90 %), mais similaires aux vaccins contre la grippe, par exemple.
Rien d’étonnant, donc, qu’il y ait davantage de personnes infectées malgré deux injections dans les pays qui utilisent en priorité les vaccins chinois.
L’irruption des variants a aussi changé la donne. L’ARN messager semble “produire davantage d’anticorps capables de mieux combattre ses mutations que la technologie classique utilisée par les laboratoires chinois”, souligne le virologue français.
Il est aussi un peu hâtif de tout mettre sur le dos des vaccins. Au Chili, par exemple, “il est clair qu’il y a eu un sentiment de succès après qu’une partie seulement de la population a reçu une injection qui n’est pas suffisante pour offrir une protection adéquate. Cela a créé un faux sentiment de sécurité et le relâchement des précautions a favorisé un mélange entre les personnes vaccinées et celles qui ne l’étaient pas qui est à l’origine d’un regain des contaminations”, analyse Ian Jones, virologue à l’université de Reading, joint par France 24.
La Mongolie a même officiellement exonéré les vaccins chinois de toute responsabilité. “On peut dire que nous avons célébré trop tôt. Mon conseil a tous est d’attendre que tout le monde soit vacciné avant de faire la fête”, a affirmé Batbayar Ochirbat, responsable du conseil scientifique mis en place par le ministère mongol de la Santé.
Il n’y a, en outre, pas encore de données suffisantes pour se faire une idée précise des raisons de la reprise épidémique dans ces pays, juge Bernd Salzberger, directeur du service d’infectiologie à la clinique universitaire de Regensburg (Allemagne), contacté par France 24. “La question centrale reste, pour moi, de savoir ce qui s’est passé avec le système de santé de ces pays”, affirme cet expert. Est-ce que les vaccins ont été conservés dans des bonnes conditions ? Est-ce que les délais entre les injections ont été respectés ? Il y a un grand nombre d’autres facteurs qui entrent en jeu et peuvent faire dérailler une campagne de vaccination.
Pour Pierre Aliou, les pays comme le Chili, la Mongolie ou les Seychelles ont “eu raison d’avoir recours aux vaccins chinois”. Les molécules de Moderna et Pfizer sont peut-être plus efficaces, mais elles sont aussi plus chères. Pour des pays aux moyens financiers limités, l’efficacité d’environ 60 % des vaccins de Sinopharm ou Sinovac “est largement préférable à rien du tout”. Surtout qu’ils ont tout de même rempli leur rôle principal : faire drastiquement baisser le nombre de cas graves et d’hospitalisations de patients souffrant du Covid-19.