Depuis mardi se tient, sous l’égide de Paris, la réunion du traité sur l’Antarctique. Pendant dix jours, 54 pays doivent débattre de la gouvernance du continent blanc. Au programme : lutte contre le réchauffement climatique, gestion du tourisme ou encore recherche scientifique.
Quelques semaines après le Conseil de l’Arctique, qui s’est tenu fin mai en Islande, les regards se tournent désormais de l’autre côté de la planète. Depuis du 15 au 24 juin, 54 pays se retrouvent sous l’égide de Paris à l’occasion de la réunion du traité sur l’Antarctique.
Dans l’imaginaire collectif, ce continent de 14 millions de km² n’est qu’une immense étendue gelée, sans âme qui-vive. Pourtant, chaque été austral, entre novembre et avril, il voit arriver des milliers de scientifiques, attirés notamment par sa richesse écologique hors du commun. Mais surtout, il tient une place centrale dans la question du réchauffement climatique.
Autour de la table des négociations, il s’agira donc de coopérer pour la protection de la faune et de la flore, de discuter des recherches en cours ou encore de s’accorder sur la gestion du tourisme.
Un territoire sanctuarisé
Au contraire de l’Arctique, l’Antarctique n’appartient à personne – ou à tout le monde. Le traité de l’Antarctique, signé en 1959, gèle en effet toute revendication territoriale au profit de la recherche scientifique. En d’autres termes, la militarisation du continent est interdite et les États signataires se sont engagés à coopérer pour la science et la protection de l’environnement.
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“Comme gageure de cette coopération, les 54 pays signataires du traité se réunissent chaque année pour débattre des mesures à adopter”, détaille Mikaa Mered, professeur de géopolitique des pôles à Sciences Po et HEC, joint par France 24. “Seuls 29 d’entre eux, les membres fondateurs, ont le droit de vote. Parmi eux, de nombreux pays européens, mais aussi asiatiques comme la Corée du Sud, le Japon et bien sûr la Chine”, précise-t-il.
Alors que les données sur le réchauffement climatique sont de plus en plus alarmantes, cette coopération semble plus nécessaire que jamais. Selon une étude internationale publiée en février 2020, la fonte des glaces de la région devrait contribuer à une élévation maximale du niveau de la mer de 58 cm au cours du siècle en cours. Et si la planète a déjà gagné plus de 1°C depuis l’ère pré-industrielle à cause de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, l’Antarctique se réchauffe deux fois plus vite.
“Il en va de l’intérêt de toute l’humanité que l’Antarctique, dont nous avons la responsabilité collective, reste pour toujours réservé aux seules activités pacifiques et ne devienne jamais le terrain de différends internationaux”, notaient ainsi, dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, Isabelle Autissier, présidente d’honneur du Fonds Mondial pour la Nature WWF-France et navigatrice et Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur pour les Pôles et les Enjeux maritimes et président du Musée national de la Marine.
Les bases scientifiques chinoises au centre des débats
Parmi les sujets qui devraient animer ces dix jours de débats : les nouvelles bases scientifiques que souhaitent construire la Turquie et la Chine. “En théorie, avant de se lancer dans une telle construction, il est nécessaire d’avoir l’accord des autres pays, sur la base de discussions sur l’impact environnemental que cela pourrait avoir”, explique Mikaa Mered.
Ainsi, la Turquie, qui souhaite ouvrir sa première base scientifique, a vu son projet rejeté une première fois par ses pairs. “Celui-ci devrait être de nouveau discuté dans l’optique d’un vote lors de la prochaine réunion, en 2022”, poursuit le professeur.
Le cas de la Chine est bien plus problématique. “Faisant fi de toute procédure, Pékin a entamé en 2018 la construction de sa cinquième base scientifique sans soumettre aucune étude environnementale aux autres nations”, raconte le spécialiste des pôles. “L’un des objets de cette réunion sera de discuter de la mise en place, ou non, d’un régime de sanctions”.
“Depuis le début des années 2000, la Chine n’a cessé de renforcer sa présence dans les pôles”, poursuit-il. Aujourd’hui, le pays est, par exemple, la troisième nation la plus dépensière au monde, en termes de financements publics, pour la recherche scientifique en Antarctique. Concrètement, cela se traduit par environ 600 chercheurs répartis sur quatre, et donc bientôt cinq stations, installées sur le continent. “En s’affirmant sur le terrain scientifique, Pékin veut montrer sa puissance à l’international”, analyse encore le spécialiste.
D’ailleurs, la quatrième base chinoise, Kunlun, se situe au point culminant de l’Antarctique, au sommet du Dôme A. “Une zone où seuls les Chinois ont réussi à se rendre pour le moment, et qui surplombe tout le reste. Symboliquement, l’objectif est très clair”, selon Mikaa Mered.
Mais la construction d’une nouvelle base scientifique, qui devrait ouvrir en 2022, pourrait dépasser les enjeux scientifiques et géopolitiques. Pour cause, la zone où elle doit être construite est réputée pour recelér hydrocarbures et minerais. Si pour le moment l’extraction des ressources minières est strictement interdite par le Protocole de Madrid de 1991, cette région pourrait à long terme avoir un enjeu commercial majeur.
Des touristes de plus en plus nombreux
Deuxième gros sujet attendu à la table des négociations, la gestion du tourisme sur le continent blanc. Si on fait exception de ces deux dernières années perturbées par le Covid-19, le tourisme explose en Antarctique depuis le début des années 2000. Aujourd’hui, de nombreux tours opérateurs, le croisiériste français Ponant en tête, sillonnent les eaux de l’Antarctique.
“Les Américains constituent le principal contingent de touristes dans la région”, note Mikaa Mered. “Mais depuis quelques années, ils sont rejoints par de plus en plus de Chinois“, poursuit-il.
“Cela devient un enjeu majeur, surtout que 98 % de ces touristes arrivent en Antarctique par l’Amérique latine, en traversant des zones revendiquées par le Chili et l’Argentine”, analyse-t-il.
L’épineuse questions des aires maritimes protégées
Enfin, en coulisses, l’épineuse question des aires maritimes protégées devrait aussi occuper les conversations. Depuis huit ans, la France réclame la protection de deux zones en mer de Weddell et dans l’Antarctique Est. Si la majorité des pays soutient le projet, la Russie et la Chine, grandes nations pêcheuses, y font toujours obstacle.
Or, dans ces eaux vit le krill, qui sert d’aliment principal aux phoques, à certains manchots et de bien d’autres animaux. Si une pression trop importante en matière de pêche est mise sur ces petites crevettes, ses prédateurs se retrouvent en danger et ne peuvent plus se nourrir. La chaîne alimentaire en serait bouleversée.
“L’océan Austral, qui borde l’Antarctique, constitue une richesse écologique hors du commun et joue un rôle-clé pour le climat : il contribue à près de 75 % à l’absorption globale de chaleur excédentaire et à 35 % à la séquestration du CO2 capté par l’océan mondial. Principal accumulateur de chaleur et puits de carbone, il joue aussi un rôle important dans la production d’oxygène”, insistent ainsi Isabelle Autissier et Olivier Poivre d’Arvor. “Sa protection s’avère donc être un maillon-clé dans la lutte contre l’impact du changement climatique et la préservation de la biodiversité.”
“La création de ces deux zones protégées ne sera pas soumise au vote pendant ce sommet”, rappelle Mikaa Mered. Il faudra attendre la réunion de la Commission pour la conservation de la faune et de la flore marine en Antarctique (CCAMLR), prévue en octobre. Nul doute que le sujet, symbole de l’importance de la coopération sur la question environnementale, sera cependant dans tous les esprits.