Le personnel d’un complexe hôtelier italien haut de gamme a pu se faire vacciner en Allemagne alors même qu’il n’était pas éligible selon les règles allemandes, a révélé le Süddeutsche Zeitung, le 11 juin. Un traitement de faveur qui commence à provoquer des remous jusqu’au sein du gouvernement.
Un vaccin, une bière, et retour en Sardaigne. Une histoire de favoritisme vaccinal au profit du personnel d’un hôtel de luxe italien, révélée par le quotidien bavarois Süddeutsche Zeitung, vendredi 11 juin, agite ces derniers jours l’Allemagne et commence à gêner le gouvernement.
Une centaine d’employés du complexe hôtelier haut de gamme Forte Village, au sud de Cagliari, ont pu faire une petite escapade à Munich, le 21 mai, pour y recevoir une injection du vaccin contre le Covid-19 de Pfizer/BioNtech, a appris le quotidien allemand.
Des bungalows pour 20 000 euros et sans virus
Une virée bavaroise qui a duré moins de 24 heures. “À 9 h, nous avons pris l’avion depuis Cagliari pour arriver à Munich à 11 h et à 12 h 30 tout était plié”, a raconté un employé du Forte Village, interrogé par la chaîne italienne Rai Tre. La vaccination s’est déroulée à l’hôtel Hilton, qui se trouve entre le terminal 1 et 2. “Après cela, nous avons pu faire une pause pour goûter une bière bavaroise et à 17 h, nous étions de retour en Sardaigne avec notre pass vaccinal en poche !”, s’est réjoui cet Italien.
Cette opération de vaccination express doit permettre à Forte Village de proposer des “vacances uniques dans le plus grand respect de la santé de chacun”, a indiqué cet hôtel qui offre des bungalows pour 20 000 euros par semaine avec un accès direct à la plage. Ce complexe de luxe s’est notamment fait connaître pour avoir hébergé, fin mai, l’équipe italienne de football durant son stage de préparation pour l’Euro-2021.
L’aisance avec laquelle le personnel de Forte Village a, ainsi, pu se faire vacciner en terre bavaroise est très mal passée de Munich à Berlin. Au moment où les 100 employés de l’hôtel ont reçu leur injection, la Bavière venait tout juste d’ouvrir la vaccination à tous. Les différents centres en étaient encore à administrer les doses aux populations les plus fragiles tandis que le commun des Bavarois peinait, comme un peu partout en Europe, à trouver un rendez-vous. “Moins de 40 % de la population locale avait reçu au moins une injection”, rappelle l’hebdomadaire allemand Der Spiegel.
“C’est tout simplement répugnant. Le personnel au service des riches et des puissants vient se faire vacciner ici, tandis que les autres restent sur le carreau”, s’est insurgé Florian von Brunn, le porte-parole du SPD (les sociaux-démocrates de centre gauche) en Bavière. “Il faut absolument comprendre ce qui s’est passé. Il n’est pas possible que l’Allemagne se transforme en bazar vaccinal”, a affirmé Martin Hagen, le responsable du FDP (parti libéral) bavarois.
Légalement douteux
La polémique dépasse, en Allemagne, le simple cadre des affaires de passe-droits accordés à certaines personnes fortunées ou bénéficiant des bonnes relations au début des campagnes de vaccination en Europe. Plusieurs médecins avaient été convoqués et un dispositif spécifique pour accueillir le personnel de l’hôtel de luxe dans les meilleures conditions sanitaires possibles avait été mis en place, raconte la Süddeutsche Zeitung.
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De quoi susciter une avalanche de questions qui, trois jours après le début de l’affaire Forte Village, n’ont toujours pas obtenu de réponse satisfaisante. La légalité de toute cette opération est, d’abord, très douteuse. La réglementation allemande prévoit, en effet, que la vaccination n’est ouverte qu’aux résidents allemands ou aux personnes qui possèdent une assurance maladie allemande. Difficile, a priori, d’intégrer le personnel d’un hôtel de luxe de Sardaigne dans l’une de ces deux catégories.
Le responsable de Forte Village a assuré sur la Rai Tre qu’il y avait, en Allemagne, “un certain nombre de doses dont les centres de vaccination pouvaient, sous certaines conditions, disposer librement”.
Une affirmation qui a laissé les autorités sanitaires bavaroises dubitatives. Elles ont assuré à la Süddeutsche Zeitung que si les médecins avaient une certaine liberté pour organiser les vaccinations, il fallait tout de même suivre les recommandations quant aux patients prioritaires. Un complexe hôtelier “où il n’y a pas eu un seul cas de Covid-19 en 2020 peut difficilement être considéré comme prioritaire”, note le quotidien allemand.
Le mystère du donneur d’ordre
Qui a alors donné l’ordre de mobiliser suffisamment de doses du vaccin de Pfizer pour satisfaire l’ambition de Forte Village ? Pour l’instant, tout le monde se renvoie la balle. L’un des médecins présents lors des injections a assuré, toujours sur la chaîne italienne Rai Tre, que “tout venait de Berlin”. “On nous a juste demandé de procéder aux injections, c’est le gouvernement qui a décidé de faire une exception à la règle pour une raison que j’ignore”, a-t-il ajouté.
Au ministère de la Santé, déjà la cible de nombreuses critiques pour la manière dont a été menée la campagne de vaccination, pas question de porter le chapeau. “Nous avons eu vent de cette affaire par les médias et n’avons en aucune manière autorisé cette vaccination”, a précisé un porte-parole du ministère au magazine Spiegel. Il a ajouté que ce sont aux “autorités locales d’éclairer” cette histoire et, en particulier, découvrir d’où provenaient les doses du vaccin.
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Mais le ministère bavarois de la Santé a, également, affirmé ne pas être au courant. Il a précisé avoir ouvert une enquête pour tenter de faire toute la lumière sur les circonstances de cette virée vaccinale italienne. Il a aussi suggéré d’aller voir du côté des pharmacies, car le gouvernement du Land ne s’occupe que des doses distribuées aux centres officiels de vaccination.
Le syndicat bavarois des pharmaciens s’est alors empressé, dimanche, d’annoncer l’ouverture d’une enquête pour savoir s’il y avait un marché noir des vaccins dans la région. Les seuls à ne pas être mal à l’aise dans cette histoire sont les gérants de l’hôtel italien qui ont assuré, ce week-end, que “cette vaccination du personnel était le meilleur investissement à faire que nous puissions faire”. Et qu’importe s’il déclenche un scandale politique en Allemagne.