Une étude de l’Unicef révèle, à l’occasion de la journée mondiale du travail des enfants, que 160 millions de mineurs ont été forcés de travailler en 2020, soit 8,4 millions de plus en quatre ans. Une première depuis vingt ans.
Ils sont invisibles, mais partout : domestiques entre les murs de maisons, ouvriers dissimulés dans des ateliers, bambins cachés dans les plantations. Pour la première fois en 20 ans, le travail des enfants a augmenté dans le monde, selon un rapport de l’ONU publié à l’occasion de la Journée mondiale contre le travail des enfants, ce 12 juin. Le nombre de mineurs qui travaillent est ainsi passé de 152 millions en 2016 à 160 millions en 2020, soit 8,4 millions de plus en quatre ans. “Un enfant sur dix est concerné, c’est un énorme sujet, commente Philippe Lévêque, directeur général de Care France dans un entretien à France 24. Les équipes de notre ONG avaient également constaté cette hausse sur le terrain, mais on ne disposait pas de données scientifiques pour l’affirmer. C’est désormais chose faite, avec cette étude très exhaustive menée par l’ONU.”
Le rapport, publié tous les quatre ans, révèle que ces travailleurs mineurs sont, pour moitié, âgés de seulement cinq à onze ans. Ils sont aussi à 60 % de sexe masculin, le phénomène frappant davantage les garçons. Évolution inquiétante, la dangerosité du travail a elle aussi progressé, entraînant des conséquences directes sur le développement, l’éducation ou la santé de ces jeunes. L’Unicef estime que 79 millions d’enfants effectuent des travaux dangereux, soit 6,5 millions de plus qu’il y a quatre ans. Dans une grande majorité, ces enfants travaillent dans des champs agricoles (112 millions, soit 70 %). Les autres effectuent de basses besognes dans les services (20 %) ou l’industrie (10 %).
Tous les continents touchés
La plus forte hausse du travail des enfants a été principalement enregistrée en Afrique, en raison de la croissance démographique, des crises et de la pauvreté, ont déclaré l’Organisation internationale du travail (OIT) et le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef). Mais en réalité, le fléau n’épargne aucun continent. “De manière marginale, on constate que le travail des enfants existe aussi en Europe, avec notamment les enfants roms contraints à la mendicité.”
Les raisons de cette hausse sont multiples. La pandémie de Covid-19 peut en partie expliquer cette recrudescence. Mais cela ne suffit pas car l’augmentation du travail infantile était déjà repartie à la hausse avant la crise sanitaire. Il existe d’autres facteurs. “Le nombre important de conflits qui secouent la planète notamment au Sahel, en Syrie ou au Yémen, entrainent mécaniquement le recours au travail des enfants avec des écoles qui ferment, des déplacements de populations”, souligne le responsable humanitaire.Dans d’autres zones, comme en Haïti, cette hausse découle de l’échec des politiques économiques et sociales. Enfin, cette hausse est aussi imputable aux industriels. “Tant que l’on ne rémunèrera pas suffisamment les parents, on n’en finira pas avec le travail des enfants, poursuit le patron de Care France. Il faut s’attaquer à l’ensemble de la chaîne de valeurs. D’ailleurs, nous portons tous une part de responsabilité. Lorsqu’un consommateur achète des haricots verts provenant du Mali en plein mois de janvier, il est en partie responsable. Si les consommateurs n’acceptent pas de changer, on n’en finira pas avec le travail des enfants.”
Travail des enfants: les modèles statistiques montrent que ce nombre pourrait être 5 fois plus élevé. D’après l’Unicef si les mesures d’austérité et les attaques sur la protection sociale se poursuivent, le nombre d’enfants contraints de travailler bondirait encore de 46 millions
— Ludivine Bantigny (@Ludivine_Bantig) June 11, 2021
Vers une aggravation du phénomène
L’humanitaire pointe également la responsabilité des industriels. Certes, “nombre d’entre eux ont fait d’importants efforts de traçabilité dans ce sens”. En plaçant des puces sur des sacs de cacao, café, coton, ou thé pour remonter les filières, en lançant des audits et des opérations de contrôle, on peut combattre le phénomène. “Il arrive que certaines entreprises ne décèlent pas le travail des enfants car il n’est pas simple de le repérer, notamment dans le secteur du cacao où il existe une myriade de producteurs. D’autres ne font aucun effort dans ce domaine.”
Le phénomène pourrait encore s’aggraver avec la pandémie. Les progrès réalisés ces dernières décennies risquent de s’éroder, et neuf millions d’enfants supplémentaires pourraient être poussés vers le travail d’ici fin 2022 “si les gouvernements ne protègent pas les personnes vulnérables”, estime l’ONU. “Les restrictions sanitaires prises par les autorités en fermant des commerces et des activités ont cassé la dynamique des échanges commerciaux, note Philippe Lévêque. Privés d’activité, les gens ne disposent pas de protection sociale comme nous en avons en Occident. Sans le ‘quoi qu’il en coûte’, nous serions sûrement dans la même situation.”
La pandémie pourrait même toucher les régions qui ont connu des avancées en la matière depuis 2016, comme l’Asie, le Pacifique, l’Amérique latine et les Caraïbes. “Aujourd’hui, alors que nous sommes déjà entrés dans une deuxième année de confinements, de fermetures d’écoles, de perturbations économiques et de réduction des budgets nationaux, les familles sont obligées de faire des choix déchirants”, déplore dans un communiqué Henrietta Fore, directrice générale de l’Unicef. En tout état de cause, “il ne faut pas blâmer les parents, ce ne sont pas des monstres, poursuit Philippe Lévêque. À quelques exceptions près, c’est toujours un crève-cœur pour eux de les envoyer au travail.”Car bien souvent, le travail des enfants entraîne dans son sillage d’autres problèmes. “Les petites filles employées comme domestiques dans les grandes villes africaines ou en Haïti, sont bien souvent aussi confrontées aux violences sexuelles ou à l’esclavage.”
Des solutions possibles
Des solutions existent pour enrayer le problème. L’ONU plaide pour “une allocation familiale universelle pour tous”, ainsi qu’une hausse “des dépenses consacrées à une éducation de qualité et le retour de tous les enfants à l’école – y compris les enfants qui n’étaient pas scolarisés avant la Covid-19.” L’organisation onusienne milite également pour la promotion d’un travail décent pour les adultes, “pour que les familles n’aient plus besoin de recourir au travail des enfants pour générer un revenu familial”. Enfin, les rédacteurs du rapport pointent la nécessité de mettre fin aux normes sexistes et aux discriminations “qui ont une incidence sur le travail des enfants.”
Pour éradiquer le mal, “il faut également contrôler la chaîne de valeurs et sanctionner si besoin, abonde Phlippe Lévêque. Il est également nécessaire que les médias et pouvoirs publics sensibilisent tous les acteurs, pour qu’au moment où l’on achète sa tablette de chocolat, on se pose les bonnes questions.”