La Cour suprême brésilienne doit se prononcer jeudi sur deux recours déposés contre l’organisation de la Copa América dans le pays. Les joueurs de la Seleçao se sont eux-mêmes déclarés “contre” le tournoi, même s’ils n’ont pas prévu de le boycotter. À trois jours du coup d’envoi, retour sur les rebondissements autour de cet événement controversé.
À trois jours du coup d’envoi de la Copa América au Brésil, le suspense reste entier. La Cour suprême doit décider, jeudi 10 juin, de la tenue de ce tournoi qui devait se jouer initialement il y a un an, en Argentine et en Colombie, avant d’être reporté à cause de la pandémie de Covid-19.
La Copa América, le tournoi des équipes nationales de football d’Amérique du Sud, n’en est pas à ses premières incertitudes en cent cinq ans d’histoire. L’édition de 1918 à Rio de Janeiro fut reportée d’un an, en raison de l’épidémie de grippe espagnole. Dans les années 1970, époque où le continent était dominé par des dictateurs, la compétition est presque tombée dans l’oubli. Cette fois-ci, la crise sanitaire et politique au Brésil ont bien failli entraîner une révolte des joueurs.
La Coupe de trop ?
Cette 47e Copa América a toujours été controversée. Depuis le début, c’est une édition supplémentaire, rajoutée au calendrier pour profiter du passage des années impaires aux années paires. Avant que la pandémie de coronavirus ne frappe, elle était initialement prévue pour l’année dernière. Pour certains joueurs, cela semble trop. Il y a eu des Copas en 2015 et 2019, et une version célébrant le centenaire du tournoi en 2016. Une édition de plus était-elle vraiment nécessaire ?
Comme il s’agissait d’un tournoi supplémentaire, tous les pays pouvaient se porter candidats pour l’accueillir. L’Argentine et la Colombie le réclamaient toutes les deux, et la Confédération sud-américaine de football (Conmebol) n’a pas voulu faire de jaloux. Pour la première fois, la Copa devait ainsi être organisée par deux États, peu importe les problèmes logistiques liés à l’éloignement géographique entre les deux pays, situés à deux extrémités du continent. Puis la vague de manifestations massives contre une réforme fiscale force la Colombie à se retirer. Deux semaines avant le coup d’envoi, l’Argentine jette à son tour l’éponge. Alors que le pays entre dans l’hiver, la pandémie y est à son paroxysme. L’opinion publique ne veut plus de la Copa, et l’Argentine n’a d’autre choix que de se retirer.
Jair Bolsonaro entre en jeu
Le Brésil apparaît comme le sauveur improbable de dernière minute. Mais la pandémie atteint des niveaux alarmants dans le pays. Elle a déjà fait plus de 477 000 morts et franchira inévitablement la sombre barre du demi-million de décès pendant la compétition.
Alors que la grogne montait déjà depuis un certain temps au sein des équipes sud-américaines, les joueurs brésiliens n’ont pas apprécié que leur pays devienne le nouvel hôte de la compétition – ils n’ont d’ailleurs jamais été consultés. Rodrigo Caboclo, le président de la Confédération brésilienne de football (CBF), était avec eux la veille de l’annonce de l’accueil de la Copa au Brésil… et pourtant ne leur a rien dit.
La révolte de la Seleção étouffée dans l’œuf
Les joueurs brésiliens ont plusieurs griefs. Ils sont mécontents de Caboclo, mécontents que la Copa se déroule en pleine pandémie et qu’elle soit maintenue alors que le continent est en retard dans le calendrier marathon des qualifications pour la Coupe du monde.
Presque tous les joueurs basés en Europe doivent renoncer à leurs vacances pour faire partie de l’équipe nationale. Ils préféreraient le faire pour quelque chose qui en vaut vraiment la peine, comme une qualification pour la Coupe du monde, plutôt que pour cette Copa controversée, bricolée à la hâte.
Vendredi 4 juin, les proches du camp brésilien ont laissé entendre que les joueurs boycotteraient le tournoi, et feraient tout pour encourager les joueurs d’autres équipes nationales à les imiter. Lundi, nouveau son de cloche : le boycott est finalement écarté, l’équipe serait prête à jouer la Copa tout en s’opposant à son organisation. Mardi soir, après avoir battu le Paraguay lors d’un match de qualification pour la Coupe du monde, les joueurs affichent finalement cette position.
Cette évolution n’est pas une surprise. Les joueurs ont été en partie apaisés par le fait que Rodrigo Caboclo a dû abandonner, au moins temporairement, la tête de la fédération. Formellement accusé d’avoir harcelé sexuellement et moralement une employée, il a été mis à pied pour trente jours.
De plus, les joueurs savaient qu’ils naviguaient dans des eaux dangereuses. “À aucun moment, nous n’avons voulu rendre cette discussion politique”, ont-ils déclaré dans leur communiqué. Mais c’est mission impossible. Cette Copa est intensément politique. Elle est fortement liée à la figure de Jair Bolsonaro : la Conmebol a tenu à remercier personnellement le président brésilien d’avoir ouvert les portes de son pays à la compétition. Assurer le bon déroulement du tournoi, quelles que soient les circonstances, est par ailleurs en parfait accord avec la position de Jair Bolsonaro depuis le début de la pandémie : l’économie doit fonctionner normalement.
En menaçant de boycotter la Copa, les joueurs brésiliens n’affrontaient donc pas seulement leur fédération et les autorités du football continental. Ils risquaient d’entrer en conflit avec le président du Brésil. Or beaucoup de joueurs “auriverdes” sont – ou du moins ont été – des partisans de Jair Bolsonaro.
Un climat loin d’être apaisé
Le communiqué des joueurs est donc apparu sans conviction, affirmant leur opposition à la Copa mais n’entrant pas dans le détail de leurs motivations – mentionnant simplement des préoccupations d’ordre humanitaire et professionnel. Le texte a déçu tout le monde : beaucoup s’attendaient à une position plus affirmée, tandis que les partisans du président Bolsonaro désapprouvent qu’on s’oppose à l’organisation de la compétition.
Toutes ces questions seront-elles oubliées au moment du coup d’envoi ? Pas sûr. Notamment à cause de l’organisation très particulière de cette Copa América 2021. Lors de la première phase, les dix équipes participantes sont réparties en deux groupes de cinq. Et les deux premières semaines ne servent qu’à éliminer une seule équipe par groupe. Il faudra donc attendre début juillet pour voir le cœur de la compétition. Or d’ici là, les joueurs brésiliens pourraient se retrouver pris entre deux feux politiques. La vaccination avance très lentement au Brésil, et certains spécialistes alertent de l’imminence d’une troisième vague de contaminations.
Adapté de l’article en anglais de Tim Vickery publié ici.