Couvert de louanges et considéré comme le sauveur de l’économie de l’économie libanaise il y a encore quelques années, Riad Salamé a perdu de son aura. Critiqué au Liban pour son rôle dans la crise économico-financière qui secoue le pays, il est désormais dans le collimateur de la justice française qui se penche sur la provenance de son riche patrimoine en Europe.
Nommé gouverneur de la Banque du Liban en 1993, Riad Salamé a longtemps été salué comme l’architecte et le garant de la stabilité financière et monétaire du pays du Cèdre. Systématiquement reconduit dans ses fonctions par les gouvernements successifs depuis sa première nomination à ce poste, sa longévité record pour un banquier central n’avait été que rarement remise en question avant que le pays ne sombre dans une crise économico-financière en 2019.
Un temps pressenti comme un potentiel présidentiable, le banquier, âgé de 70 ans, est désormais déconsidéré par une partie de la population libanaise qui l’estime responsable, à l’instar de la classe politique, de la crise actuelle.
Le banquier de Rafic Hariri
Né en 1950 dans le village de Kfardebian et fils d’un homme d’affaires ayant fait fortune en Afrique, Riad Salamé entame une carrière de banquier après une scolarité chez les Jésuites et des études d’économie à l’Université américaine de Beyrouth.
Une carrière dans le privé débutée dans la banque d’investissement américaine Merrill Lynch alors qu’il n’est âgé que de 23 ans. Sa trajectoire professionnelle d’ingénieur financier prend une autre dimension lorsqu’il se voit confier la gestion du portefeuille d’actifs du milliardaire et futur Premier ministre libanais Rafic Hariri, assassiné en février 2005.
Les résultats sont tellement fructueux pour le magnat de l’immobilier qui a fait fortune en Arabie saoudite qu’une relation de confiance et d’amitié se noue entre les deux hommes. Nommé chef du gouvernement en 1992, Rafic Hariri choisit, un plus tard, de le placer à la tête de la Banque du Liban, où dans le système confessionnel en vigueur dans le pays, ce poste échoit à un chrétien maronite.
Tout en cherchant à reconstituer les réserves de la Banque du Liban, Riad Salamé opte pour une politique monétaire destinée à encourager le retour des capitaux et les devises de la diaspora vers le pays, ravagé par la guerre civile (1975-1990), en proposant notamment une structure des taux d’intérêt très élevée et largement supérieure aux taux internationaux. Il décide également d’arrimer la livre libanaise au dollar (autour de 1 507,5 livres le dollar). Ce qui permet à une partie de la population de bénéficier d’un niveau de vie confortable et aux élites de s’enrichir vertigineusement.
Adulé par les banques privées qui ont fait fortune, élu meilleur gouverneur de banque centrale en 2006 par le magazine Euromoney et en 2009 par The Banker Magazine, il jouit alors d’une renommée internationale. Il jubile dans les médias en expliquant comment le système bancaire de son pays a échappé à la crise des subprimes et à la crise financière internationale qui avait suivi. Et ce, alors que le Liban ployait à l’époque sous une dette publique de 50 milliards de dollars (40,7 milliards d’euros), soit 150 % de son PIB.
Le Liban a pu maintenir la confiance grâce à un modèle bancaire doté d’importantes liquidités et où les banques commerciales ne peuvent pas faire de spéculation, expliquait-il, en 2010, à France 24. “Dès 2004, nous leur avions interdit d’investir dans les subprimes. Par ailleurs, tous les produits structurés doivent être approuvés par la Banque centrale”, avait-il ajouté.
Ironiquement, la crise avait même profité à l’économie libanaise. “Quand la crise est apparue, il y a eu un flux de capitaux vers les banques libanaises parce que les marchés ont jugé qu’il s’agissait de banques saines qui n’avaient pas de problème en termes de produits toxiques”, poursuit Riad Salamé.
Fin du mirage financier
Toutefois, la réalité rattrape le pays du Cèdre et le directeur de sa Banque centrale au début des années 2010, à mesure que les entrées de capitaux commencent à ralentir progressivement. Le Liban, exposé régionalement, souffre notamment des répercussions économiques de la guerre en Syrie voisine et de l’afflux d’un million de réfugiés syriens. Il paie aussi les tensions avec les pays du Golfe, qui abritent une importante diaspora, en raison de la mainmise du Hezbollah sur le pouvoir.
Pendant ce temps, le déficit public n’a eu de cesse de se creuser au fil des années et les banques locales, encouragée par la Banque centrale, ont continué d’acheter des bons du trésor. De quelques milliards de dollars au début des années 1990, la dette publique culmine aujourd’hui à plus de 90 milliards de dollars.
Riad Salamé et ses montages financiers n’ont plus la même aura lorsqu’éclate la crise de 2019, alors que la population assiste à l’effondrement de la monnaie nationale et à la dégradation des conditions de vie. “Voleur, voleur, Riad Salamé est un voleur”, crient les manifestants qui lancent, en octobre 2019, une vague sans précédent de protestation contre la classe dirigeante accusée de corruption, de conflits d’intérêts et de clientélisme, que le banquier est soupçonné par la rue d’avoir contribué à financer.
“À bas le règne de la banque” ou encore “Riad Salamé a provoqué la faillite du Liban”, scandent-ils encore lors de rassemblements devant la Banque centrale à Beyrouth, alors que les banques ont imposé de sévères restrictions aux déposants. Les clients titulaires de comptes en dollars ne peuvent retirer les montants souhaités qu’en livres libanaises, contre un taux bancaire de 3 900 livres, alors que le taux au marché noir atteint désormais les 14 000 livres pour un dollar. Bien loin du taux miracle de 1507 livres fixé par Riad Salamé en 1997.
Ce dernier voit également son image écornée à l’international. Il est même soupçonné d’entraver la tenue d’un audit de la Banque centrale comme le réclament les bailleurs de fonds internationaux du Liban avant de débloquer toute aide financière alors qu’en mars 2020, l’État a annoncé le premier défaut de paiement de son histoire sur sa dette souveraine.
Les pertes cumulées de la Banque centrale et des banques privées sont évaluées par les médias libanais à 50 et à 18 milliards de dollars, soit un total astronomique de 68 milliards de dollars.
Dans un entretien accordé à France 24, début janvier, Riad Salamé avait assuré que la Banque du Liban était disposée à fournir toutes les informations nécessaires à l’audit exigé par la communauté internationale. Il avait également nié être à l’origine d’une “pyramide de Ponzi”, comme l’avait décrit le président Emmanuel Macron, de plus en plus impliqué sur la scène libanaise suite à l’explosion meurtrière au port de Beyrouth, le 4 août 2020.
“Je suis pris comme un bouc émissaire”
Depuis, le banquier, également détenteur de la nationalité française, est dans le collimateur de plusieurs ONG anti-corruption française et libanaise pour des soupçons de biens mal acquis. Après la Suisse, la justice française s’intéresse elle aussi au patrimoine en Europe du gouverneur de la Banque du Liban.
Quelques semaines après avoir été destinataire de deux plaintes le visant, ainsi que son entourage, le parquet national financier (PNF) a ouvert une enquête préliminaire pour “association de malfaiteurs” et “blanchiment en bande organisée”.
Les associations, Accountability Now et Sherpa, ont demandé à la justice d’enquêter sur la fuite massive de capitaux libanais depuis le début de la crise économique au Liban, l’acquisition de patrimoine immobilier luxueux en disproportion avec les revenus des personnes visées par les plaintes, mais aussi sur la responsabilité des intermédiaires financiers, via des paradis fiscaux et des prête-noms.
Face à l’enchaînement des procédures, Riad Salamé se défend et dénonce une campagne de diabolisation aux motivations politiques. “Je suis pris comme un bouc émissaire”, avait-t-il déclaré lors de son dernier entretien accordé France 24.
Lors d’une intervention télévisée au Liban, en avril 2020, il avait expliqué les origines de sa fortune actuelle, qui se montait, en 1993, avant qu’il ne soit nommé à la tête de la Banque du Liban, à 23 millions de dollars.
Interrogé sur l’antenne de France 24, dimanche 6 juin, son avocat, l’ex-bâtonnier de Paris et ténor du barreau Pierre-Olivier Sur, a déploré une “opération de communication” dirigée à l’encontre du gouverneur de la Banque du Liban.
S’interrogeant sur les motifs réels des plaintes “très médiatisées de Sherpa, dont on ne sait rien de ses intérêts directs et indirects au Liban”, il a également condamné les termes employés par les plaignants et repris dans les médias qui évoquent une “méga-enquête œcuménique” visant un personnage “honni”.