Alors que le Royaume-Uni s’apprête à lever ses dernières restrictions le 21 juin, médecins et membres de la communauté scientifique s’inquiètent d’une nouvelle hausse des cas de Covid-19, certainement liée à la propagation du variant Delta.
Les chiffres soufflent le chaud et le froid. Mardi 1er juin, le Royaume-Uni annonçait une bonne nouvelle : le pays n’a enregistré aucun mort lié au Covid-19 en 24 heures. Une première depuis le 30 juillet 2020.
Pourtant, plusieurs voix s’élèvent au sein de la communauté scientifique s’inquiétant de l’arrivée d’une troisième vague. Et pour cause, depuis mi-mai, le nombre de contaminations augmente considérablement. Vendredi 4 juin, les autorités sanitaires dénombraient ainsi 6 238 cas confirmés de Covid-19 dans les dernières 24 heures, contre 1 946 un mois auparavant.
Du côté des hospitalisations, de façon moins flagrante, la tendance semble aussi être à la hausse. Le 31 mai dernier, 123 personnes ont été admises à l’hôpital contre 90 le 15 mai dernier.
La raison invoquée : la propagation du variant B.1.617.2, dit Delta, nouveau nom donné au variant indien. Détecté pour la première fois début mai près de Manchester, notamment dans les villes de Darwen et Blackburn, il s’est rapidement diffusé à l’ensemble du pays et est désormais dominant, représentant les trois quarts des nouvelles contaminations. Selon le Wellcome Sanger Institute, qui effectue une veille de l’évolution de l’épidémie au Royaume-Uni, il est ainsi responsable de l’intégralité des nouveaux cas de Covid-19 dans certains districts.
“Le variant indien est, sans doute, plus transmissible que le variant britannique, qui était déjà plus transmissible que la souche initiale du Covid-19”, explique Pierre Tattevin, infectiologue au CHU de Rennes, auprès de France 24. De quoi tirer la sonnette d’alarme alors que le pays s’apprête à lever ses dernières restrictions sanitaires le 21 juin prochain.
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“Toutes les vagues commencent par un faible nombre de cas”
“Pour l’heure, la situation au Royaume-Uni n’est pas si préoccupante”, rassure toutefois l’infectiologue. “Le pays reste à un niveau de contamination toujours très bas. Nous sommes bien loin des 60 000 cas quotidiens en janvier”, relativise-t-il. Et de rappeler : “La France, elle-même, compte actuellement environ 8 000 nouveaux cas par jour.”
Une position partagée par Allyson Pollock, médecin en santé publique à l’université de Newcastle, au Royaume-Uni. “Dans les hôpitaux aussi, le tableau est rassurant, souligne-t-elle à France 24. À titre de comparaison, au pic de la crise sanitaire, environ 4 500 malades étaient hospitalisés chaque jour. “Et le nombre de morts est très bas depuis plusieurs semaines”, se félicite-t-elle encore.
Pour d’autres médecins, ces augmentations, même si elles ne semblent que balbutiantes, doivent alarmer. “Toutes les vagues commencent par un faible nombre de cas”, martèle Sunetra Gupta, épidémiologiste à l’université d’Oxford, interrogée par la BCC. “Oui, le nombre de cas est relativement bas, mais ce que nous voyons ici sont les signes d’une potentielle prochaine vague.”
“La propagation exponentielle est impitoyable une fois que le R (c’est-à-dire, le taux de reproduction, soit le nombre de personnes qu’une personne va contaminer en moyenne, ndlr) dépasse 1”, abonde Deepsi Guardasani, épidémiologiste, sur Twitter. “Les cas sont actuellement au même niveau qu’à la mi-septembre et ils avaient presque triplé en 4 semaines”, insiste-t-elle. Le taux de reproduction est actuellement de 1,16 dans le pays. Sans compter que si le variant Delta est bel et bien plus transmissible, alors la vitesse de propagation du virus risque de continuer à s’accélérer.
And this variant is more transmissible than earlier variants. PHE data shows ~67% increase in infection in contacts of B.1.617.2 infected cases, compared to those with the Kent variant (secondary attack rates 13.5% vs 8.1%). pic.twitter.com/hbFMIZbfZe
— Deepti Gurdasani (@dgurdasani1) May 31, 2021
À l’instar de Sunetra Gupta et de Deepsi Guardasani, plusieurs voix s’élèvent ainsi appelant le gouvernement à suspendre la dernière étape du déconfinement, prévue le 21 juin prochain. Un choix déjà fait par l’Écosse : mardi 1er juin, la Première ministre Nicola Sturgeon a annoncé mettre en pause la levée des restrictions sanitaires dans une grande partie du pays, notamment dans la capitale, Édimbourg. Boris Johnson devrait annoncer le maintien ou non de la dernière étape du déconfinement le 14 juin.
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La nécessité de la double dose de vaccins
Entre-temps, le gouvernement britannique souhaite tout miser sur une accélération de la campagne de vaccination. “Les études concordent à montrer que les gens vaccinés sont protégés contre le variant indien”, explique Pierre Tattevin. En revanche, il apparaît que la protection est bien supérieure si l’on a reçu les deux doses.”
Selon une étude menée par le Public Health England, une seule dose de vaccin ne protègerait en effet qu’à 33 % contre le variant indien. Une deuxième dose d’AstraZeneca offrirait une efficacité de 60 %. Ce chiffre grimpe à 88 % avec le vaccin Pfizer. Au 2 juin, 60 % de la population britannique avait reçu une première dose du vaccin et 40 %, deux doses.
“C’est sans doute pour cela que, même si plus de la moitié de la population a été vaccinée, le variant indien a pu faire un peu sa place”, juge Pierre Tattevin. Dans les huit régions les plus concernées par la propagation du variant indien, le gouvernement a ainsi décidé d’ouvrir la vaccination à l’ensemble des adultes. Dans le reste du pays, seuls les plus de 30 ans y ont accès. Le délai entre les deux injections a par ailleurs été réduit à huit semaines, contre douze auparavant, pour les plus de 50 ans et les plus vulnérables
Rouvrir les frontières ?
Face à cette situation, la France, qui a dévoilé mardi 4 juin un document détaillant les modalités de réouverture de ses frontières à partir du 9 juin, a placé le Royaume-Uni en “orange”. Les Britanniques, vaccinés ou non, devront donc présenter un test PCR ou antigénique de moins de 48 heures pour se rendre dans l’Hexagone.
Une décision raisonnable selon Pierre Tattevin. “Si la situation n’est pas alarmante, elle reste préoccupante”, estime-t-il. Et de reconnaître : “Dans ces circonstances, rouvrir les frontières du Royaume-Uni semble prématuré.”