Avec l’arrestation de l’opposant Roman Protassevitch lors d’un spectaculaire détournement d’avion de ligne européen dimanche, le pouvoir biélorusse compte faire taire les activistes exilés, qui pilotent le mouvement de contestation antigouvernemental.
Le 9 août dernier, l’autocrate biélorusse Alexandre Loukachenko était réélu pour un sixième mandat, avec plus de 80 % des voix. Une victoire contestée qui a déclenché un mouvement de contestation inédit, férocement réprimé par les autorités, dans ce petit pays d’Europe de l’Est. Alors que la Biélorussie avait, depuis, largement disparu des radars médiatiques, son dirigeant a fait un retour fracassant dans l’actualité internationale, dimanche 23 mai, en ordonnant le détournement d’un avion de Ryanair effectuant la liaison Athènes-Vilnius alors qu’il survolait son espace aérien, afin d’arrêter le journaliste et opposant du régime en exil Roman Protassevitch.
Une opération spectaculaire qui a suscité de vives condamnations internationales et constitue une attaque sans précédent contre l’opposition en exil, devenue la bête noire du pouvoir.
Répression totale
À partir d’août 2020, durant plusieurs mois, des centaines de milliers de manifestants ont battu le pavé à travers la Biélorussie pour dénoncer des fraudes massives lors de l’élection présidentielle. “Je crois mes yeux et je vois que la majorité est avec nous”, déclarait alors la principale candidate de l’opposition, Svetlana Tikhanovskaïa, créditée de seulement 9,9 % des voix. Pris de cours par l’ampleur des manifestations, le régime instaure alors une répression totale.
Selon la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), plus de 30 000 manifestants pacifiques ont été détenus par le régime depuis mai 2020. Plus de 400 personnes avaient été condamnées pour “troubles massifs” ou “violences” contre la police, selon le parquet général du pays, alors que plusieurs centaines de personnes attendent toujours leur jugement.
Les opposants exilés dans le viseur
Le 17 septembre, alors que le mouvement de protestation prend de l’ampleur, le dirigeant biélorusse annonce la fermeture des frontières avec la Pologne ainsi que la Lituanie, jusqu’ici peu contrôlée du fait d’un accord frontalier.
Un tournant radical vis-à-vis de ses voisins qu’il accuse alors de soutenir les opposants du régime. “Cela fait 26 ans qu’Alexandre Loukachenko règne d’une main de fer sur la Biélorussie et que des militants fuient le pays” souligne Oleg Kozlovski, chercheur spécialiste de l’Europe de l’Est pour Amnesty International, contacté par France 24. “Mais cette tendance s’est fortement accentuée avec cette mobilisation inédite et le pouvoir s’est rendu compte qu’il avait largement sous-estimé le degré d’influence et d’organisation des opposants exilés.”
Parmi ces figures emblématiques jugées nuisibles par le pouvoir, figurent bien sûr Svetlana Tikhanovskaïa mais également d’autres personnalités influentes, comme la prix Nobel de littérature Svetlana Alexievitch, l’ancien ministre de la Culture Pavel Latushko ou bien encore l’avocate et femme politique Olga Kovalkova.
Pour Oleg Kozlovski, l’arrestation dimanche de Roman Protassevitch constitue une menace claire et glaçante à l’endroit de tous ces militants : “Il est l’ancien rédacteur en chef du média Nexta, qui coordonne les manifestations, indique les lieux de rassemblements ou bien encore oriente les manifestants sur les comportements à adopter pour éviter les confrontations avec la police. Ce média, qui a une importance cruciale, partage également des informations sur les personnes qui commettent des violations des droits de l’Homme et est devenu la bête noire du président. Roman Protassevitch n’a pas été choisi au hasard ; il incarne cette opposition qui échappe au contrôle du gouvernement. Le message est clair : peu importe où vous êtes, vous n’êtes pas en sécurité.”
La fin des expulsions forcées ?
Si le régime biélorusse n’a jamais été tendre avec ses opposants, l’arrestation du militant exilé marque néanmoins un changement de stratégie pour Alexandre Loukachenko. Car outre les arrestations massives, le régime biélorusse avait jusqu’ici l’habitude de se débarrasser des personnalités jugées gênantes en les expulsant du territoire.
La rivale à la présidentielle d’Alexandre Loukachenko en a fait les frais, au lendemain de l’élection, et vit depuis à Vilnius, en Lituanie, alors que son mari, le blogueur engagé Sergueï Tikhanovski, est toujours détenu en Biélorussie. Une autre affaire de ce type avait fait grand bruit : enlevée à Minsk par des hommes masqués et conduite à la frontière ukrainienne, l’opposante Maria Kolesnikova, avait déchiré son passeport pour empêcher ses ravisseurs de l’expulser de force du pays. Elle avait alors été arrêtée et demeure à ce jour en prison. Les deux collaborateurs qui l’accompagnaient avaient, quant à eux, accepté de rejoindre l’Ukraine.
“Bien qu’il s’agisse d’une pratique illégale au regard du droit biélorusse, l’expulsion forcée n’est pas une pratique nouvelle dans le pays ; il y a eu notamment plusieurs affaires de ce type dans les années 2000, où des personnalités critiques du gouvernement ont été amenées à la frontière et ont dû choisir entre l’exil et la prison”, explique Oleg Kozlovski. “Le régime a longtemps cru qu’il suffisait de faire partir les opposants gênants, quitte à leur forcer la main, pour se débarrasser des critiques, mais au cours de cette vague de manifestation sans précédent, il a changé d’optique. L’arrestation de Roman Protassevitch est une déclaration du guerre vis-à-vis de ces opposants qu’il juge trop actifs.”
Face au coup de force d’Alexandre Loukachenko, l’opposante Svetlana Tikhanovskaïa est montée au créneau, appelant les “États-Unis à isoler le régime et à faire pression avec des sanctions”.
L’Europe a, de son côté, annoncé l’interdiction du territoire européen aux compagnies biélorusses et a appelé à la libération immédiate de Roman Protassevitch. Placé sur la liste des “individus impliqués dans des activités terroristes”, ce dernier pourrait encourir la peine de mort en Biélorussie.