Pressés de se positionner face au soutien américain à une levée des brevets pour les vaccins anti-Covid, les dirigeants européens affichaient leurs divergences, vendredi, lors d’un sommet à Porto. Entre appels à la discussion et hostilité, les Vingt-Sept pourraient avoir du mal à se mettre d’accord.
Sous l’impulsion surprise de l’administration Biden, le sujet de la levée les brevets sur les vaccins anti Covid-19 s’est imposé au menu des chefs d’État et de gouvernement européens, réunis vendredi 7 mai, au Portugal, pour un sommet européen de Porto, initialement dédié au social.
Les enthousiastes
Madrid “salue la proposition américaine de suspendre les brevets.” Une annonce faite deux jours plus tôt, qui avait été qualifiée d’historique par l’Organisation mondiale de la santé et accueillie chaleureusement par l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
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Pour l’Espagne, “La propriété intellectuelle ne peut pas être un obstacle pour mettre fin au Covid-19 et s’assurer de l’accès équitable et universel aux vaccins”, mais la levée seule ne sera pas suffisante pour garantir l’accès aux vaccins des pays en développement. “Nous pensons que c’est insuffisant et qu’il faut être beaucoup plus ambitieux”, a déclaré le Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, appelant à trouver “un consensus de façon urgente” pour une levée des brevets au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Les “ouverts”
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait déjà assuré jeudi que l’Union Européenne était “prête à discuter” d’une telle levée, s’il s’agissait d’une solution “efficace et pragmatique”.
Une position partagée par le Premier ministre belge, dont le pays, cœur de l’industrie pharmaceutique de l’UE, représente 70 % des exportations européennes de vaccins anti-Covid. “Nous sommes prêts à discuter avec un esprit ouvert”, a déclaré Alexander De Croo.
Jusqu’ici réticent, le président français, Emmanuel Macron, a lui affirmé être “ouvert” au débat. “Il ne faut jamais oublier que nous, les Européens, nous nous battons pour que le vaccin soit un bien public mondial depuis maintenant un an et je suis heureux qu’on nous suive”, a déclaré le président français à son arrivée à Porto, précisant que cela ne devait “pas tuer la rémunération de l’innovation”.
Les réservés
Mais pour Emmanuel Macron, la question reste secondaire. “Le premier sujet pour la solidarité vaccinale, c’est le don de doses”, a martelé le chef de l’État français, ajoutant que les Européens ont “commencé à donner des doses il y a plusieurs semaines et donc le don de doses, c’est la clé”.
Emmanuel Macron a ajouté que les problèmes d’accès aux vaccins dans le monde ne constituaient “pas vraiment un sujet de propriété intellectuelle”. “Vous pouvez donner la propriété intellectuelle à des laboratoires qui ne savent pas produire (le vaccin), ils ne le produiront pas demain” s’ils ne sont pas accompagnés de transferts de technologie, a-t-il fait valoir, reprenant un argument phare des groupes pharmaceutiques, selon lesquels ouvrir une nouvelle usine et former ses employés prend au moins un an.
“Le don de doses (par les pays producteurs) reste la clef”, a insisté M. Macron, appelant par ailleurs les États-Unis et le Royaume-Uni à ne “pas bloquer” les exportations des vaccins produits sur leur sol.
Le président français a notamment appelé les pays “Anglo-saxons” à arrêter de “bloquer” les exportations des vaccins produits sur leur sol. “Aujourd’hui, les Anglo-Saxons bloquent beaucoup des ingrédients et des vaccins. Aujourd’hui, 100 % des vaccins produits aux États-Unis d’Amérique vont pour le marché américain.”, a-t-il affirmé.
Les hostiles
D’autres États ont rapidement affiché des réserves, pointant les difficultés à mettre sur pied de nouveaux sites de production et préconisant plutôt de gonfler la production des usines existantes.
Berlin a, de son côté, exprimé sa franche hostilité, de quoi aviver les difficultés des Vingt-Sept à adopter une position commune au sommet informel de Porto.
Pour l’Allemagne, dont les laboratoires BioNTech et CureVac sont en pointe dans la conception de vaccins, “la protection de la propriété intellectuelle est la source de l’innovation et doit continuer à le rester”, a averti le gouvernement d’Angela Merkel ajoutant que “ce qui limite la fabrication des vaccins, ce sont les capacités de production et les exigences élevées de qualité, pas les brevets”.
La Commission européenne dispose d’une compétence exclusive pour négocier à l’OMC une éventuelle levée des brevets, et doit donc auparavant recevoir un mandat spécifique des États membres.
“Les règles veulent qu’un tel mandat peut être adopté à la majorité qualifiée, mais vous ne voulez pas vous engager dans la négociation si vous avez déjà des signaux que certains tats ne vous soutiennent pas”, confie une responsable européenne. De toute façon, insiste-t-elle, “s’attaquer seulement à la propriété intellectuelle, cela ne règlera pas tous les problèmes”.
Avec AFP