Ces dernières semaines, la ville de Portland, dans le nord-ouest des États-Unis, a été le théâtre de violents affrontements entre des manifestants du mouvement Black Lives Matter et des officiers fédéraux. Ces derniers, dépêchés sur place par décret présidentiel pour “rétablir l’ordre”, ont été accusés par les autorités locales d’attiser la violence.
Pour notamment faire face aux salves de gaz lacrymogène, des manifestants radicaux se sont inspirés des techniques ayant fait leurs preuves à Hong Kong : formation en tortue romaine à l’aide de parapluies, extinction des cartouches de gaz à l’aide de cônes de chantier ou de souffleurs de feuilles, ou encore technique de dispersion rapide dite “Be Water” [“sois l’eau” en français, pour reprendre l’idée de fluidité du groupe].
L’utilisation de ces techniques a largement été documentée en vidéo.
Les formations de manifestants en “tortue romaine” ou en “phalange grecque” à l’aide de parapluies et de boucliers improvisés se sont généralisées ces dernières semaines.
Ces techniques permettent aux manifestants de se protéger des projectiles et de bloquer le champ de vision des forces de l’ordre.
Elles ont été popularisées à Hong Kong, au point que le parapluie est devenu le symbole du mouvement de contestation contre la loi d’extradition, qui actait une mainmise renforcée de la Chine sur cette région autonome.
L’autre technique phare des manifestants à Hong Kong est l’utilisation des cônes de chantier et des souffleurs de feuilles pour disperser ou éteindre les fumées irritantes dégagées par les cartouches de gaz lacrymogène.
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Ces techniques ont été reprises à Portland où les officiers fédéraux utilisent massivement le gaz lacrymogène pour disperser la foules réunie depuis le 29 mai devant le tribunal fédéral, une pratique largement dénoncée par les manifestants. Depuis le 30 juin, les policiers de Portland ne sont plus autorisés à les utiliser, à l’exception des situations d’émeutes et à la condition de prévenir les manifestants.
D’autres manifestants ont été filmés en train de chasser les cartouches de gaz à l’aide de battes de hockey. À Hong Kong, des manifestants avaient recyclé du matériel sportif dans le même but, mais cette fois en utilisant des raquettes de tennis.
Les manifestants de Portland se sont également équipés de lasers, comme l’avaient fait ceux de Hong Kong. Dans la vidéo ci-dessous, les manifestants semblent vouloir aveugler la caméra d’un drone qui survolait la foule.
A drone flew over the crowd as protesters, assuming it’s a law enforcement drone, flashed lasers at it and yelled to swat it down. A helicopter flew overhead earlier. There is a no-fly zone over #Portland right now. #PDXprotest pic.twitter.com/60jD0OVGK7
Marissa J. Lang (@Marissa_Jae) July 24, 2020
Le directeur adjoint du Service de protection fédérale a dénoncé l’utilisation de ces lasers et affirmé que trois officiers fédéraux souffraient de blessures à l’œil et “risquaient de ne pas retrouver la vue à la suite de ces attaques au laser”.
“Des activistes hongkongais aident à compiler les informations pour Black Lives Matter”
Toutes ces techniques n’ont pas été inventées à Hong Kong, certaines ont parfois été simplement popularisées ou améliorées ici. Mais dans les coulisses, des activistes hongkongais aident à compiler toutes les informations pour les partager dans des groupes Telegram du mouvement Black Lives Matter. Je n’ai pas participé à compiler ces informations mais je connais d’autres militants qui y ont passé du temps.
Nous sommes frappés de voir que les manifestants [à Portland] sont tout comme nous réprimés avec brutalité, nous sommes absolument solidaires de leur mouvement.
“Les activistes de Portland se partagent des visuels expliquant les stratégies des Hongkongais”
Dès le début, les activistes à Portland ont partagé sur leurs groupes de messagerie instantanée des images et des visuels expliquant les stratégies des Hongkongais, avec par exemple l’organisation d’un groupe de manifestants selon plusieurs rôles prédéfinis : celui qui va éteindre les cartouches de gaz, l’autre qui sera en première ligne, etc.
Très tôt, ils ont utilisé les souffleurs de feuilles, les cônes de chantier, mais sans que cela soit inscrit dans une véritable stratégie de groupe. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas et j’en ai été témoin la semaine dernière, lors d’une action près des locaux de la police : les manifestants ont réussi à reprendre la célèbre stratégie hongkongaise “Be Water”, c’est-à-dire à mener leurs actions et à immédiatement quitter les lieux à l’arrivée de la police. Ils ont répété ce processus plusieurs fois en évitant soigneusement toute confrontation directe.
LRAD 3: LBRAD with a vengeance. Cries of “be water! North on MLK!” Aaaand we’re off! pic.twitter.com/O2fWPHranm
45th ןǝןןɐɹɐd ʇsıpɹnsqɐ ǝpɐbıɹq (@45thabsurdist) July 19, 2020
J’ai pu lire beaucoup de discussions en ligne sur ces stratégies et sur la meilleure manière de les adapter au contexte particulier de Portland.
Les manifestants qui utilisent ces techniques, jugées violentes par les autorités, font partie d’un groupe de manifestants bien plus vaste composé de personnes pacifistes ou encore de mères de famille qui viennent régulièrement se positionner en première ligne face au officiers fédéraux pour protéger les manifestants des violences et des arrestations.
Le maire démocrate de Portland, Ted Wheeler, qui avait déjà accusé ces unités tactiques d’attiser la violence, a lui-même reçu du gaz lacrymogène le 22 juillet, alors qu’il était venu à la rencontre des manifestants. Le lendemain, une enquête officielle a été ouverte par le ministère de la Justice américain sur l’action controversée de ces officiers dans la ville.